Le professeur contractuel provisoire dans l’enseignement privé sous contrat...et dire que le gouvernement veut généraliser leurs embauches :(!

lundi 12 février 2018


Le/la professeur-e contractuel-le (en suppléance1) et le professeur titulaire (en contrat définitif 2).....

Nous vous proposons le témoignage d’Erwan (nom d’emprunt afin de garantir son anonymat), mais il aurait tout aussi pu s’agir de Camille, Armelle, Vincent et les autres….. 

« Après deux années comme professeur contractuel, j’ai passé le concours pour devenir enseignant en collège et lycée. Je suis désormais professeur titulaire.
Le désir du gouvernement de diminuer le nombre de titulaires au profit des contractuels – via un « plan de départs volontaires » - me donne envie de revenir sur mon entrée dans l’enseignement privé sous contrat. J’imagine que mon témoignage résonnerait de la même façon dans l’enseignement public. »
Embauché comme professeur de collège.

Mon téléphone sonne, je décroche.

  J’ai vu que vous avez candidaté hier.
C’est la première fois qu’on m’appelle aussi vite, suite à une candidature.
Et un dimanche des vacances de décembre.
Je commence à me vendre
  Oui, je suis intéressé pour être professeur, j’ai un diplôme d’ingénieur et j’ai été animateur dans... 
Au bout du fil, mon interlocutrice ne me laisse pas finir.
  Vous êtes dispo dès la rentrée en janvier ?
  Oui
  Très bien vous aurez les 6e, 4e, 3e On se voit le lundi, vous débutez le mardi, bon w.e.
Je raccroche, scotché.
C’est la première fois qu’on accepte aussi vite une de mes candidatures.
Et là c’est pour être prof au collège. J’ai vu l’annonce sur Pôle Emploi. J’ai candidaté à tout hasard.
Je rappelle par acquis de conscience.
 Madame la directrice, je ne veux pas qu’il y ait de mal-entendu. Vous avez bien étudié mon CV, parce que moi, en fait, je n’ai jamais enseigné.
  Oui, oui, venez le lundi matin je vous donnerai le matériel aussi
Le lundi en question, c’est la boule au ventre que je me rends au collège.
On me montre le collège, j’apprends que je remplace une prof qui a eu un grave accident.
On me donne une clé, des vélédas et les livres des 3 niveaux dans lesquels je dois enseigner en me disant :
  les 6e sont aux nombres décimaux, les 4e à Pythagore et les 3e aux équations du premier degré… et le plus simple c’est de suivre la progression du livre.
L’entretien dure une demi-heure.
Le lendemain, me voici face à des classes.
Et c’est parti, pour 2 mois.
Alors oui, c’est sûr, les élèves ont quelqu’un « devant eux ». Ils ne sont pas « en perm’ ».
Enfin, il faut voir qui ils ont en face.
En acceptant ce poste, je suis devenu professeur suppléant, contractuel provisoire .
Alors pendant ces deux mois et par la suite, je me dis qu’au final c’est normal. Dans l’urgence, il fallait bien que la directrice se débrouille. Elle m’a jaugée rapidement, m’a fait confiance et m’a envoyé devant les classes.
Ensuite, elle a dû être attentive à ce que les élèves et les collègues disaient de moi. Et puis elle a dû se dire que ça allait.
Enfin, je ne peux pas m’empêcher de me dire que j’aurai pu être incompétent, voire dangereux. Et que laisser n’importe qui seul avec les élèves, c’est pas très responsable, tout ça.
Car dès la première heure d’enseignement et pendant toute la durée du contrat, personne n’est venu dans la classe voir comment je faisais mon travail.
Mais bon, je me disais que c’était l’urgence qui a mené à cette prise de risque.
Je survis à cette formation sur le tas, à ces premières galères en face des classes, à ces longues soirées à préparer les cours du lendemain.
Et mon contrat se termine, je pars vers d’autres expériences professionnelles, en dehors de l’enseignement.
L’entretien à l’envers, où est l’arnaque ?
Alors que je cherche de nouveau du travail, ce 25 août, on m’appelle.
Cette fois, c’est le directeur d’un collège-lycée.
Pourtant je n’ai pas fait acte de candidature dans un établissement scolaire….
J’apprends que mon nom est toujours sur les listes des suppléant-es.
Cette fois c’est pour un poste à l’année. Je me rends à l’entretien.
Le directeur use d’arguments bien trouvés pour que j’accepte le poste. C’est un entretien d’embauche à l’envers. Il me séduit, moi je pèse le pour et le contre. Et surtout je me demande où est l’arnaque.
En effet, il y a une semaine, j’avais candidaté pour un poste d’animateur nature. Il y avait plus de 100 candidats. J’ai fait partie des 10 sélectionnés pour l’oral (mais je n’ai pas été choisi).
Bref, je constate que c’est beaucoup plus simple d’être prof qu’animateur… et je me demande où est l’arnaque.
Mon statut est contractuel, provisoire en délégation auxiliaire (DA quoi) comme ils disent.
Je demande ce qui est arrivé à la personne que je remplace.
 Rien, vous ne remplacez personne.
  Comment ça ?
  C’est un poste vacant. Il n’y a personne sur ce poste, donc on embauche des DA. 
Je pense : Comment ça, tous les profs ne sont pas en poste définitif ?
 Donnez-moi vite votre réponse, j’ai beaucoup d’enseignants à trouver.
  Ah oui ?
  Une vingtaine. 
Une vingtaine de contractuels. Pour un établissement de 120 profs environ.
Et l’établissement est assez représentatif, dans certaines académies, comme celle de Créteil, ils/elles peuvent constituer plus de 25% des professeur-es…. !!
Ainsi, jusqu’à plus de 20 % des postes peuvent être destinés à des enseignants contractuels, provisoires qui viennent par recrutement direct, sans concours ni formation. Mais 20 % des postes ça fait bien plus d’enseignants contractuels provisoires qui sont passés devant les classes. Combien ne sont venus que quelques jours et sont repartis : découragés par la difficulté de gérer une classe ou devant l’ampleur de la tâche.
Les profs sont des fonctionnaires. Oui ou non ?
Voici donc l’idée reçue que j’avais : les profs sont des fonctionnaires. Eh bien c’est faux.
Pas tous-tes. Beaucoup sont en contrat à durée limitée, d’autres en contrat définitif, ceux et celles de l’enseignement privé sous contrat….. un peu…dingue tout ça ?
Mais c’est logique.
Depuis le temps qu’on promet de réduire le nombre de fonctionnaires, éventuellement par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite, par départ anticipé et autres « plan de départs volontaires ».
Eh bien, il y a moins de prof fonctionnaire.
Mais y a-t-il moins d’élèves ?
Non
C’est bête, je n’y avais jamais pensé.
Qui va devant les classes des fonctionnaires qui ne sont pas remplacés ?
Les contractuels.
Que fait-on ?
Alors on pourrait se dire qu’il faudrait faire autrement : former les enseignants – en formation initiale et continue - puis les valider via concours, inspection ou acquis de l’expérience. C’est d’ailleurs la voie la plus célèbre pour être prof et celle que souhaite les élèves, les parents et les enseignants. Il s’agit en fait de l’accès classique au statut de la fonction publique d’État.
C’est ce statut que défendent les enseignants en lutte dès ce mardi 6 février 2018, contre l’attaque du gouvernement visant à remplacer les fonctionnaires par des contractuels.3
Dans leurs revendications, ils ajoutent toutes les passerelles qui permettront aux contractuels de trouver facilement la voie vers le statut de la fonction publique : visite de validation de tous les contractuels en vue de leur titularisation et accès à une formation continue.
Et si on voyait plus loin….
Les fonctionnaires défendant leurs statuts se battent pour l’ensemble des salariés. En effet, le statut (qui lie le salaire à la personne) est une émancipation de l’emploi (qui lie le salaire au poste de travail). Cette sécurité économique doit être étendue bien sûr aux contractuels déjà en poste mais aussi à l’ensemble des salariés et travailleurs et travailleuses indépendant-es4, ainsi qu’aux étudiant-es5.
L’attaque gouvernementale visant à réduire le nombre des salariés protégés par des statuts n’est donc pas une volonté de casser des privilèges, auxquels les fonctionnaires tiendraient par corporatisme.
Il convient en effet d’élargir la focale à l’ensemble du salariat pour mieux saisir l’enjeu : les salariés doivent-ils aller vers davantage de sécurité économique et de maîtrise de leur travail ?
A cette question le patronat et son gouvernement continuent à répondre non.
Les salarié-es qui se mobilisent depuis l’appel à la grève du 6 février répondent oui.

1. Guide de l’enseignant-e en délégation auxiliaire, en suppléance.
http://www.sundep-toulouse.org/spip.php?article371

2. La profession de foi bretonne qui revendique comme au national : public/privé, même métier, même statut !
http://www.sundep-bretagne.org/spip.php?article5

3. En grève le 6 février, article du SUNDEP http://www.sundep.org/spip.php?page=article&id_article=1686

4. Voir à ce sujet les travaux du Réseau Salariat. On trouvera une excellente vulgarisation du propos dans la vidéo réalisée par Usul : https://www.youtube.com/watch?v=uhg0SUYOXjw

5. Voir à ce sujet : Aurélien Casta : Un salaire étudiant : Financement et démocratisation des études, La Dispute, novembre 2017.