ParcourSup, sélection à l’entrée de l’Université, réformes dans l’Education Nationale : quelle société souhaitons-nous aux jeunes d’aujourd’hui ?

mardi 10 avril 2018


Si les réformes sont avant tout une affaire de rythme, celle de ParcourSup, la première de la liste dans l’EN et déjà en lice depuis octobre 17, tend à le démontrer sans complexe. Même Milton Fridman qui avait en horreur la société du statut quo n’aurait su rêver mieux ! Les prochaines qui suivent sont déjà dans les « starting-bloc », ne rêvons pas, elles sont le fruit de la vision d’une société libérale et capitaliste.
Sommes-nous prêt-es à laisser des algorithmes décider à leur place ?

D’un algorithme à l’autre, le gouvernement a bien calculé son coup !
La plate-forme APB (Admission Post Bac) n’est plus. Sa mise à mort était déjà pressentie depuis janvier 15 suite à la lecture d’un rapport de l’Inspection Générale de l’Education Nationale où l’ancienne plate-forme avait clairement été qualifiée de trop complexe et d’anxiogène pour les futur-es étudiant-es et leur famille. Cette même année, en 2015, la mise en place de tirages au sort(1) (qui a concerné 0,9% de candidat-es l’année dernière) pour certaines filières universitaires sous tension (PACES et STAPS en particulier) posait évidemment la question de l’équité, bien mise à mal par l’instauration d’un tel dispositif.
APB a donc définitivement cessé de coder les vœux des lycéen-nes de terminale selon ceux du très médiatique Jean-Michel Blanquer.

Place donc et en un temps record à l’utilisation d’une nouvelle plate-forme, ParcourSup, censément plus simple, moins anxiogène et surtout plus juste puisqu’éliminant le fameux tirage au sort !
Moins anxiogène et plus juste, enfin pas vraiment si on lit de plus près le langage codé de son nouvel algorithme, codage qui crypte clairement, beau pléonasme, la mise en place de la sélection à l’entrée de l’Universitaire.

Des vingt-quatre vœux hiérarchisés de l’époque APB, il en subsiste dix concernant les formations et incluant vingt sous-vœux qui eux précisent les universités et spécialités visées. Ainsi, dès le mois de mai, chaque fois qu’un-e élève recevra deux réponses positives, il/elle pourra conserver une des deux options proposées et donc attendre d’avoir reçu toutes les réponses des établissements choisis avant de sonner sa réponse définitive.

Un progrès, certes, mais à condition que ce nouveau système n’entraine pas au bout du tuyau un embouteillage monstre. Et c’est ce que l’on peut logiquement redouter au vu du nombre important de candidat-es, d’autant plus que les 22000 places supplémentaires promises par le gouvernement pourraient s’avérer insuffisantes face à la poussée démographique des « Baby-Boomer 2.000 » (+ 40 000 étudiant-es en plus prévues).

Vers la mise en place d’algorithmes locaux pour se charger du classement du flux grandissant de dossiers dans les universités ?
En effet, depuis le 4 avril dernier, chaque université récupère les vœux des candidat-es et doit les classer par des OUI, OUI SI ou NON. Des besoins en termes de temps et de moyens, ces établissements auront besoin : OUI ! Mais, « l’enveloppe financière estimée est inférieure à celle nécessaire » indique déjà Thierry Paul, vice-président des formations d’Aix-Marseille. Faute de moyens, les classements se feront aussi par des algorithmes codés par université et qui conduiront à une sélection à l’aveugle comme le prévient le président de l’Université du Maine, Rachid El Guerjouna. Sélection en sus de celle déjà à l’œuvre par l’écriture imposée des attendus aux futur-es étudiant-es par les différents parcours de licences.

A toutes ces contraintes demandées aux universités s’en ajoutera une autre, non négligeable, celle liée à l’explosion du nombre de vœux, puisque d’une part les lycéen-nes ne les hiérarchisent plus et que d’autre part le nombre de vœux a explosé du fait d’un réflexe imputable au stress que peut générer le fonctionnement de la nouvelle plate-forme ParcourSup. Par ricochet, les filières sélectives sont aussi impactées.
Moins anxiogène qu’APB qu’ils disaient ?!

Face à ce « flou artistique », certaines universités envisagent même de sélectionner les étudiant-es selon leur région d’origine. Alors plus juste ParcourSup, qu’ils disaient ?!

On livre notre jeunesse au marché de l’anxiété, à la société du « tout individuel ».
Le gouvernement a utilisé le prétexte du refus du tirage au sort pour imposer la loi ORE (pour l’Orientation et la Réussite des Etudiant-es). Cette loi réalise bel et bien une des promesses formulées par Emmanuel Macron : « Nous ferons en sorte que l’on arrête de faire croire que l’Université est la solution pour tout le Monde ».
Cette réforme qui a permis à ParcourSup de voir le jour ainsi que les suivantes, celles du lycée et du BAC sont en parfaite concordance avec la vision « tubulaire » de l’orientation qui relie désormais directement la classe de seconde au marché du travail à l’issue d’une suite d’épreuves sélectives et de choix d’orientation rationnels. On en parle sous le vocable « BAC – 3, BAC + 3 ».

Rendre les démarches d’orientation raisonnées et les jeunes raisonnables.
Les lycéen-nes devront, dès la mise en place définitive de ces réformes, s’orienter de plus en plus tôt dans leur cursus (Education au choix de l’orientation à raison de 54h/an), à partir donc de la classe de seconde !
En voulant soi-disant déconstruire tous les archétypes véhiculés par notre système scolaire, ne sommes-nous pas, au contraire, en train de les renforcer ?! Ce que Bourdieu appelait déjà en 1964 (2) « la culture de la précocité » avec l’instauration de ces trajectoires linéaires, de ces voix royales toutes empruntées par nos dirigeants actuels. Ces mêmes dirigeants qui méconnaissant profondément le fonctionnement de l’Université qui n’ont en général pas fréquentée. Ils projettent ainsi leurs expériences et approuvent d’autant plus la mise en place d’une société de concours qui adoube la performance individuelle.

Non seulement ces réformes induisent la sélection à l’entrée de l’Université mais elles organisent aussi les conditions d’un marché de l’anxiété. Les phases de préparation sont vécues de manière stressante, de la rédaction de lettres de motivation à l’élaboration de CV. Un marché ad hoc a ainsi pu voir le jour, en effet, moyennant quelques 560 euros, la société tonavenir.net propose une « formule sérénité » comprenant des conseils d’orientation, une aide à la rédaction de lettres et CV. En mot, on ne prête qu’aux riches !
Ces changements impactent et impacteront sur les personnels (enseignant-es chercheur-es, vacataires) qui se voient chargé-es d’une mission, celle du tri sélectif. Ils impacteront et impactent déjà les enseignant-es du second degré qui doivent émettre un avis sur les dix projets choisis par leurs élèves, transformant les conseils de classe du second trimestre en usine à gaz. De manière non anecdotique, il devient évident que des inégalités en établissements verront sous peu le jour. Un avis émanant d’un lycée prestigieux n’aura pas la même valeur que celui d’un lycée de banlieue ! On instaure même l’inégalité géographique !

C’est pourquoi d’ailleurs à ce sujet, le SUNDEP-Solidaires a été signataire d’une intersyndicale public/privé construite autour du non-renseignement par les enseignant-es des items du pavé que constitue la fiche avenir.

Le gouvernement est train de bouleverser à la vitesse d’un TGV l’articulation entre enseignement secondaire et supérieur. Va-t-il s’arrêter là, probablement pas ? Réforme de la licence, augmentation des frais d’inscription, modification du statut de l’enseignant-e chercheur-e. On peut d’ores et déjà imaginer que le plan ORE fait l’objet de laboratoire d’expérimentation.

Les premières mobilisations des étudiant-es, les lycéen-nes, des enseignant-es (du secondaire et de l’enseignement supérieur) contre la sélection à l’entrée de l’Université montrent bien que de nombreux jeunes ne sont pas dupes….ça se passe à Rennes, à Rouen, à Paris mais aussi à Toulouse où les personnels de l’Université du Mirail sont à la pointe de la mobilisation.

Nous devons stopper cette marche en dédiée à des valeurs libérales que nous ne partageons pas. Notre jeunesse ne doit pas être sacrifiée devant l’hôtel de l’utilitarisme !

(1)  : Tirage au sort jugé illégal par le Tribunal Administratif de Bordeaux.
(2)  : Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron : « Les héritiers, les étudiants et la culture », Edition de Minuit, 1970.