« L’enseignement catholique trie ses profs » nous raconte Charlie Hebdo

mardi 11 septembre 2018


Article de Claude Ardid, paru dans le Charlie Hebdo du 22 aout 2018
Dessin de Foolz
« Lorsqu’on est professeur dans une école catholique, Il est préférable de ne pas s’intéresser aux migrants, d’avoir une sexualité dans les clous, et de fermer les yeux sur les agressions sexuelles entre élèves ».

Je suis anéanti. Trente-huit ans de carrière rayés d’un trait de plume. Les cathos, les durs, ont eu ma peau … » Paul Gobillot, 62 ans, directeur du collège Saint-Joseph à Saint-Ambroix, une commune au nord d’Alès, dans le Gard, n’en revient toujours pas. Convoqué récemment par son directeur diocésain , il a été licencié pour « dysfonctionnements répétés » dans la gestion. Un leurre. « }’aurais dû m’y attendre. je ne faisais pas propre dans le paysage depuis quelques années. »

En créant une classe pour les décrocheurs, des ados exclus du système scolaire, Paul Gobillot devient la cible des plus intégristes. « }’ai entendu des choses horribles à son encontre, confirme Ghyslaine Pialet, enseignante à Saint-Joseph. Les plus réacs de l’administration se répandaient auprès de l’évêque en jurant que « ses » gamins faisaient peur à la récréation ! » Les gosses en question ? Des migrants sans papiers . Mais aussi des Gitans, des Maghrébins, qu’il parvient à réinsérer dans le circuit scolaire classique. « Lorsqu’il m’a reçue, explique Ghys­laine, l’évêque m’a glacé le sang, en sous-entendant à propos des migrants que Paul Gobillot « avait pris tout et n’importe quoi » … »

Mais sous quel prétexte virer un directeur qui s’occupe aussi bien des plus démunis que des rejetons des bourgeois ? C’est une histoire de « violences et de sévices sexuels » sur un élève de quatrième qui signera sa condamnation. Convaincu que le jeune L. a été violé lors d’un séjour linguistique à Malte fin mars, le directeur se rend à la gendarmerie avec la victime et ses parents pour déposer plainte. Très vite, les deux jeunes agresseurs, des copains de L., sont mis en examen. Onde de choc au comité diocésain. « je suppose que l’Église aurait voulu étouffer l’affaire, tempête Philip de Lumley Woodyear, l’avocat de Paul Gobillot, mais mon client n’a fait que son devoir, dénoncer un crime ! »

Dans les jours qui suivent, le comité diocésain passe à l’attaque : il lui reproche de ne pas avoir averti sa hiérarchie , et le parquet avant la gendarmerie : « En fait, résume son défenseur, on lui a fait comprendre qu’il aurait dû se taire et que ses jours à Saint-Joseph étaient comptés. » Peu après, ni une ni deux, il est licencié. Pire, Gobillot, qui est aussi prof de SVT, est lâché par le rectorat de Montpellier, qui gère la carrière des enseignants des établissements religieux sous contrat d’État : « On m’a écouté poliment, mais on m’a aussi dit que c’était compliqué de réintégrer un professeur de Saint-joseph qui venait de se faire virer de… Saint-Joseph en tant que… directeur. »

Le cas de Paul Gobillot n’est pas isolé. Désormais, les établissements catholiques font le ménage parmi leurs profs qu’ils ne jugent pas « dans la ligne ». Dans un lycée du Sud-Ouest, un prof de philo était sur le point d’être engagé. Puis ce fut le silence. « Lorsque je l’ai rencontrée en mai 2017, raconte Éric, 37 ans, la proviseure m‘a assuré que j’étais la personne idéale pour ses classes prépas. L‘été est passé , rien, pas un mot. En fait, en se renseignant sur moi en catimini, elle a appris que je faisais partie d’un mouvement philosophique plutôt de gauche. Elle m’a fait comprendre que mes engagements intellectuels étaient incompatibles avec les valeurs traditionnelles de son établissement. » C’est un autre enseignant qui a été engagé à sa place. Moins diplômé, mais membre très actif au sein de Sens commun…

Lyon, Nantes, Lille…, d’autres mésaventures semblables apparaissent sur les réseaux sociaux. Les enseignants évoquent entre eux le « déga­gisme » dont ils sont les victimes. Mais toujours sous pseudos. La peur d’être black-listés par des directeurs qui peuvent choisir leur personnel enseignant, contrairement au secteur public. « C’est encore pire pour les femmes, témoigne Aline, prof de maths à Nice. Si mon principal découvre que je suis lesbienne, je suis morte… Il n’osera jamais rien me dire en face. Mais il va tellement me chercher des poux dans la tête que je finirai par craquer… »

« Plus rien ne m’étonne, conclut Y., prof de lettres classiques. Il y a quelques années, l’Institut catholique de Paris a refusé que je devienne maître de conférences parce que j’avais un enfant né « hors des liens sacrés du mariage ». Désormais, les consignes du Vatican, c’est d’engager des profs non pas sur leurs compétences et leurs diplômes, mais sur leur identité catholique la plus traditionnelle. »