Grève des profs, grogne sociale Gilets jaunes-suite

lundi 8 juillet 2019


Grève des profs, grogne sociale
Gilets jaunes-suite

Que se passe-t-il au pays de Voltaire et de Montesquieu ? Les profs sont dans la rue, manifestent devant le rectorat sur un radeau de la méduse, créent des dizaines de collectifs de défense de leurs droits, refusent de surveiller les épreuves et de rendre les copies et les notes du brevet ou du bac, désobéissent à leur hiérarchie qui leur interdit de tenir une AG et les menace d’appeler les CRS, et se font gazer et matraquer par la police. Après plus de six mois de manifs des Gilets Jaunes, prendraient-ils le relais ? Y aurait-il quelque chose de pourri au royaume de l’Education Nationale ?
Peut-être le rythme intensif des réformes a-t-il usé les nerfs de quelques-uns, les obligeant en effet à faire des formations durant l’année ou durant l’été, ou à refaire tout ou partie de leurs cours sur plusieurs niveaux et dans plusieurs disciplines, à toute vitesse.

Peut-être aussi le constat rationnel et sans détours de certains chefs d’établissements, qui ont clairement informé leurs équipes que 20% des heures allaient disparaître avec la nouvelle organisation du lycée, en a-t-il inquiété plus d’un, notamment dans certaines disciplines, comme l’Italien, les SES ou les Sciences de l’Ingénieur. Certains CE ont vite compris et conclu : « C’est un plan social. » Cette réforme, menée pour le bien-être des élèves, propose un bac à la carte ; très bien ; mais cette carte, avec toutes ses spécialités, sera-t-elle réellement mise à disposition des élèves dans tous les établissements ? Les grands gagnants de cette réforme ne sont-ils pas les gros établissements des grandes villes ? Comment les petits établissements pourraient-ils pourvoir à la cinquantaine de configurations possibles engendrées par le nombre important de spécialités ? L’idée de faire circuler les élèves d’un bassin ou d’un établissement à un autre n’est-elle pas une utopie, rapidement rattrapée par la réalité : contraintes d’emplois du temps, de transports, d’organisation ?

Peut-être ensuite est-ce le gel du point d’indice, qui depuis dix ans, bloque l’alignement du salaire des enseignants sur l’inflation, alors que certains salariés du secteur privé voient leurs salaires s’envoler, augmenté par un treizième ou un quatorzième mois, ou par les primes - qui seront comptabilisées dans le calcul de leurs retraites. Ce manque de considération des besoins matériels quotidiens et légitimes du corps enseignant -qui vivent souvent simplement et ne courent pas après les Rolex-, notamment en termes de logement, semble caractériser tous les ministres depuis vingt ans, qui se suivent et se ressemblent sur ce point. Comment ? Les profs ont aussi besoin de se loger ? Les prix de l’immobilier, à l’achat comme à la location, auraient augmenté ? Le coût de la vie en général subirait l’inflation ? Que nenni ! Balivernes ! Ce n’est pas comme si les profs français étaient parmi les plus mal payés de l’OCDE ! Non, juste un peu !

Comment un pays comme la France, toujours prompte à brandir avec fierté son exception culturelle, peut-il ignorer à ce point ses enseignants, et durant aussi longtemps ? Les difficultés d’apprentissage que l’on rencontre dans les classes ne suffisent pas ; il faut rajouter une mauvaise considération des enseignants sur le plan financier. « Ils l’ont bien méritée, avec leurs quatre mois de vacances ! » Vacances passées à corriger ou à préparer des cours, pour moitié au moins !
Alors, ce qui achève d’énerver les enseignants, c’est le ton méprisant qu’a employé le ministre lorsqu’il a évoqué les grévistes (interview de RMC, 3/07/2019). A l’entendre, les bons fonctionnaires obéiraient au doigt et à l’œil et se soumettraient à la menace de suspension de salaire durant quinze jours, tandis que les mauvais fonctionnaires, ces irresponsables, ces délinquants, retiendraient les copies et perturberaient le baccalauréat. Drôle de conception de la condition du fonctionnaire ou de l’agent de l’Etat ! Un fonctionnaire n’est pas un esclave, il conserve sa liberté ! Il a même le devoir de désobéir si nécessaire, comme le stipule l’article 28 du Code de l’Education : « Tout fonctionnaire (…) doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. » Cette vision binaire et infantilisante des enseignants, qui pour la plupart, s’échinent durant toute l’année, toute leur carrière, à faire leur travail avec sérieux et à accompagner les élèves du mieux qu’ils le peuvent car ils sont passionnés par leur matière et désireux de la transmettre, cette vision binaire est simpliste, caricaturale.
Monsieur le ministre, la situation est bien plus complexe que vous ne voulez le faire croire, sur un ton autoritariste, au grand public : démissions en série, crise des vocations, taux d’admission très bas aux concours de recrutement, classes surchargées, taux d’échec très élevé lors de la première année de fac... A l’heure où certains correcteurs déplorent le niveau accablant de certains candidats notamment à l’écrit (cf article de René Chiche), c’est sur ces enseignants, y compris ceux que vous considérez comme des délinquants et des irresponsables, que vous devrez vous appuyer pour résoudre les problèmes. Alors, monsieur le ministre, baissez d’un ton, et prenez le temps de nous écouter !

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