Ecole à la maison : « Qui sont les 800 000 élèves “perdus” ? »

mercredi 15 avril 2020


« La fracture numérique ne peut pas à elle seule expliquer le décrochage » d’entre 5 % et 8 % des élèves depuis le début du confinement,

selon Pascal Plantard, professeur d’anthropologie des usages des technologies numériques à l’université Rennes
Publié le Monde, le 07 avril 2020 à 06h30 - Mis à jour le 07 avril 2020 à 08h

Au milieu de la troisième semaine de confinement, le ministre de l’éducation nationale a estimé qu’« entre 5 % et 8 % des élèves » ont été « perdus » par les enseignants, en mettant en avant la « fracture numérique » comme l’une des principales causes.
En est-on bien sûr ? Qui sont ces jeunes que l’école a perdus en quelques jours seulement ?

Rappelons d’abord que la notion de « fracture numérique » est largement débattue par les chercheurs depuis vingt ans, à la fois par son caractère caricatural et idéologique. Caricatural, parce qu’on n’est pas « in » ou « out », « branché » ou « débranché », nos usages des technologies numériques sont très différenciés et les causes d’exclusion numérique multiples. Idéologique, parce que, depuis la première évocation de la « digital divide » par Bill Clinton, en 1996, la plupart des réponses politiques à cette fracture numérique sont technocentrées.

En cette période de crise sanitaire, n’est-on pas une nouvelle fois tenté de ne distribuer que des machines, des ordinateurs recyclés ou des tablettes « magiques » aux élèves décrochés de l’école à la maison ?

Ecole à la maison et quartiers populaires

Espérons que l’on n’oubliera pas alors de prendre aussi en compte l’éloignement éducatif, social et culturel vis-à-vis des technologies numériques, mais aussi de l’institution scolaire.

Selon les définitions et les études, il y aurait entre 5 et 18 millions de Français éloignés, voire exclus, du numérique en France. Ce qui crée à l’intérieur des familles et entre elles des facteurs multiples d’inégalités vis-à-vis du numérique ayant des conséquences éducatives majeures dans la période de confinement. Si on prend l’estimation ministérielle, à 6,5 %, de la population scolaire (12,4 millions d’élèves en 2018-2019) aujourd’hui « perdue », cela fait tout de même 806 000 élèves sur le bord de la route.

C’est bien sûr dans les quartiers populaires que les questions d’inégalités sociales, éducatives et numériques sont les plus préoccupantes. Les difficultés s’y amplifient avec le confinement, les pertes de revenus, l’accès plus difficile aux aides alimentaires, aux soins et aux aides sociales. Les familles se retrouvent confinées dans des appartements trop petits et, pour certaines, avec l’angoisse de la contamination pour tous ceux qui exercent les métiers « indispensables » : aides-soignants, éboueurs, livreurs, caissières, femmes de ménage, chauffeurs… qui ne peuvent télétravailler.