Harcèlement moral dans la fonction publique (et pour les enseignants sous contrat)

mercredi 4 juillet 2007


On pouvait ne pas s’en apercevoir, mais l’administration a le devoir de protéger ses agents contre les pratiques de harcèlement moral.

À la suite des dispositions de la Charte sociale européenne, la notion juridique est apparue dans le statut général des fonctionnaires (loi du 17 janvier 2002) qui en fait un délit pénal.

Or, cinq ans après, vient de paraître au BO n°10 du 8 mars 2007 une circulaire (n°2007-047 du 27 février 2007) visant à proposer un dispositif de proximité, de prévention, d’alerte et de prise en charge.

Applicable dans l’enseignement public, elle peut servir de base aux règlements des conflits dans les établissements privés où les enseignants ont le statut d’agent public et où ce type de pratiques peut exister.

Par ailleurs, un avocat explicite, d’après un arrêt du Conseil d’Etat, les recours possibles, notamment en fonction de la date des faits.

 CIRCULAIRE DU 27 FEVRIER 2007

 Le contenu du harcèlement

L’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 précise qu’« aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel », qu’aucune mesure
concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire.

Doivent être pris en considération :

1) Le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ;

2) Le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ;

3) Ou bien le fait qu’il ait témoigné de tels agissements ou qu’il les ait relatés.

« Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public. »

L’un des problèmes est bien entendu l’identification du harcèlement - sans compter celui de la preuve.

Le harcèlement moral peut correspondre à une conduite abusive résultant de propos, d’agissements répétés ou d’écrits hostiles sur une période de plusieurs semaines se traduisant par une mise en cause de la personne de l’agent, soit directement, soit à travers son travail. Ces pratiques peuvent se traduire par un isolement professionnel.

La conjonction et la répétition de tels faits ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail.
Celle-ci peut aboutir à une altération de la santé physique ou mentale de l’agent (anxiété, troubles du sommeil, conduites addictives, atteintes somatiques, dépression, etc.), compromettre son avenir professionnel ou porter atteinte à ses droits et à sa dignité. Ces faits peuvent provenir d’un supérieur hiérarchique mais aussi d’un ou de collègue(s).

Ne pas confondre...

Le harcèlement moral ne doit être confondu avec la pression exercée au travail, avec les reproches exprimés par un supérieur hiérarchique sur sa manière de servir lorsque ces derniers sont fondés, avec des tensions interpersonnelles épisodiques entre collègues, ni avec un conflit né d’une différence d’approche d’une question d’ordre professionnel.

 Le saviez-vous ? Il existe des mesures de prévention et de formation...

C’est pourquoi, dans le cadre des programmes annuels de prévention des risques professionnels qui doivent s’appliquer à l’enseignement, les directions doivent informer les agents et notamment les acteurs de la gestion des ressources humaines, ainsi que les représentants des personnels des règles de déontologie et d’éthique, des procédures et des conséquences du harcèlement moral pour les victimes et les agresseurs.

Cette sensibilisation doit être renforcée en direction des personnes appelées à connaître et à prendre en charge des situations de harcèlement, avec même des inscriptions dans les plans de formation.

 Quelle procédure initiale suivre ?

L’agent doit informer son supérieur hiérarchique des comportements afin d’obtenir qu’il y soit mis fin et saisir l’échelon hiérarchique supérieur si le harceleur présumé est son supérieur hiérarchique direct.

Il est invité à mettre par écrit le détail des éléments susceptibles de constituer le harcèlement et à s’appuyer sur le médecin du travail ou l’inspecteur du travail.

Le signalement doit être fait aussi auprès du Recteur ou à son représentant, mais le flou juridique lié à la loi Censi dans l’enseignement privé doit inciter la victime à demander conseil aux représentants du personnel et aux délégués syndicaux.

 Comment s’effectue la prise en charge ?

Un temps de dialogue avec les personnes concernées peut être proposé, parallèlement à l’enquête administrative permettant de rassembler les preuves.

Un rapport est rédigé, étayé par les témoignages, avis médicaux et autres pièces recueillies en vue d’engager des poursuites disciplinaires si la réalité du harcèlement est établie.

Le Recteur ou son représentant doivent proposer des mesures appropriées pour faire cesser le harcèlement moral avéré, sachant que celui-ci ne peut être réglé par la mutation de la victime qui doit être utilisée qu’en ultime recours et à la demande de celle-ci.

Par ailleurs, si l’Administration n’a pas pris de mesures alors que le harcèlement est établi, sa responsabilité peut être engagée (CE 24 novembre 2006 - Mme A).

 Quels recours s’offrent ?

Si la médiation n’aboutit pas, il est probable que l’agent peut présenter un recours administratif, gracieux ou hiérarchique.

Si le harcèlement repose sur un comportement discriminatoire du fait des origines, du sexe, de la situation de famille - célibataire ou couple pacsé -, de l’appartenance à une ethnie, une nation, une race ou sur toute autre pratique discriminatoire - la croyance ou la non-croyance, par exemple -, l’agent peut porter l’affaire par courrier motivé devant la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE).

Enfin, l’agent peut librement choisir de porter l’affaire devant le tribunal administratif ou le juge pénal (officier de police judicaire ou procureur de la République), selon le cas.

 Les sanctions prévues par la loi

Les sanctions administratives s’appliquent-elles à l’encontre d’un collègue - les CPE et chefs d’établissement étant hors droit public ? La jurisprudence éventuelle le dira.

Reste que l’article 222-33-2 du code pénal inséré par l’article 170 de la loi prévoit une peine d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.

 ARRET DU CONSEIL D’ETAT DU 24 NOVEMBRE 2006

...Les harcèlements moraux et sexuels sont réprimés à la fois par le code du travail (art.L122-46 & L122-49) et par le code pénal (art.222-33 & 222-33-2).

Mais qu’en est-il dans l’Administration publique ? Bien évidemment les victimes peuvent se tourner vers les juridictions répressives pour faire cesser le trouble, obtenir une condamnation et/ou réparation, la chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà prononcée des condamnations, mais le peuvent-elles devant la juridiction administrative ?

Le harcèlement sexuel est défini par le législateur depuis la loi n°92-1179 du 2 novembre 1992, il a fallu attendre la loi nº 2002-73 de modernisation social du 17 janvier 2002 pour avoir une définition légale du harcèlement moral.

La loi du 2 novembre 1992 a introduit une modification dans la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dite Loi Le Pors puisque désormais son article 6 réprime le harcèlement sexuel.

La loi du 17 janvier 2002 a également modifié cette loi du 13/07/1983. Elle a ainsi créée l’article 6 quinquies qui vient réprimer le harcèlement moral (voir plus haut).

En conséquence les fonctionnaires et les agents contractuels publics peuvent saisir le juge administratif pour des faits de harcèlement sexuel (qui ont eu lieu depuis 1992) et pour des faits de harcèlement moral (qui ont eu lieu depuis 2002).

Un arrêt du Conseil d’Etat en date du 24 novembre 2006 et se nommant Office National de la Chasse et de la Faune sauvage, a été plus loin, puisqu’il a condamné cet office pour des agissements constitutifs de harcèlement moral alors même que les faits s’étaient déroulés avant 1992 donc alors que cette loi n’était pas applicable.

Il estime que « dans les circonstances de l’espèce, ce comportement a, dans son ensemble, et indépendamment même des dispositions de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale prohibant le harcèlement moral dans la fonction publique, qui n’étaient pas alors en vigueur, constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ».

Cette condamnation est fondée sur une argumentation détaillée du préjudice moral qu’a pu subir la requérante. Il constate ainsi qu’il y a eu des termes humiliants, vexatoires, remise en cause de ses compétences « sans que jamais une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle ou de sanction disciplinaire ait été engagée à son encontre ».

Les agissements ont duré pendant une période d’au moins six ans, et par « leur répétition, ont excédé les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique ».

Ainsi les agissements constitutifs de harcèlement moral sont réprimés efficacement. Néanmoins la réalité de ces atteintes doit être rapportée d’une manière très détaillée.

Aurélie VAUDRY, blogdegerardpicovschi.com

Harcèlement moral au BOEN du 8 mars 2007

Des compléments dans Harcèlement moral : quels recours ?

Commentaires

  • Si les textes du législateur sont brillants par leur justesse et leur précision, les victimes subissent souvent une aggravation des atteintes après dénonciation.
    L’employeur pour s’extraire de sa responsabilité et ne souhaitant pas mettre fin au harcèlement, tentera de prouver coûte que coûte la « faute » de l’agent dénonçant, de l’isoler, de l’empêcher de poursuivre sa dénonciation.
    Les faux témoignages, la diffamation, les fausses enquêtes, les pressions sur l’entourage (ordre donné de ne pas répondre à l’agent), le refus de répondre à ses demandes, les atteintes à la réputation, les menaces (de licenciement, de radiation...), les insultes, les mises en cause de la santé mentale du salarié, les mises au placard...font partie de la panoplie courante (traditionnelle ?) de l’employeur.

    Les organismes dits de protection ne seront d’aucun secours.

    Seul le médecin généraliste pourra (pour le moment, une réforme serait en cours pour empêcher cette possibilité...) par des arrêts maladie isoler le salarié affaibli de son « milieu professionnel » et éviter plus de dommages sur la santé.

    Les « cancans », les « on dit » de l’employeur seront préférés par certains juges aux pièces et à l’argumentation apportée par le salarié.

    Ainsi le salarié, outre les atteintes à sa dignité, outre le risque de perdre son emploi, en plus de sa réputation et de sa dignité, sera en plus débouté de ses demandes de cessation de ces pratiques sur des motifs douteux.

    Son image du genre humain, sa confiance aux autorités administratives et judiciaires, s’effondrera.
    Il semble qu’aujourd’hui la justice soit plus équitable pour certains, dont les actes ne seront jamais réprimés, que pour d’autres, moins nombreux et plus faibles socialement ou économiquement parlant.

    Est il utile de croire encore à la prose magnifique du législateur quand les personnes chargées d’appliquer la loi ne la lisent pas, pour protéger certains au détriment d’autres plus faibles.

    De cette façon, nombre de délits ou crimes ne seront jamais réprimés, au moins en premières instance, tant il convient de protéger certaines personnes bien (mal) positionnées socialement.

    De la même façon que les employeurs utiliseront dans le secteur privé la faute grave pour licencier un employé dénonçant, la condamnation du harcèlement moral n’est qu’exceptionnelle, par volonté et préjugé.

    La France n’est plus un pays de droits et ira à vau l’eau s’il s’agit de protéger les personnes les plus mal intentionnées de notre société.

    • Bien sûr le risque existe d’un renforcement du harcèlement après dénonciation.

      C’est pourquoi nous préférons gérer ce type de dossier dans des collectifs : avec d’autres maîtres ou personnels de l’établissement ou de l’école si c’est possible, avec des intervenants extérieurs le plus souvent en équipe.

      Autre piste de soutien que nous avons expérimentée : le recours à l’inspection académique, qui est co-responsable en cas de harcèlement et donc a tout intérêt à aider à leur résolution. Dans un cas, l’aide a été très loin : inspecteur médiateur, échange de poste en cours d’année, mutation protégée.

      Par contre, les interventions des directions diocésaines se révèlent catastrophiques : ses responsables soutiennent les directeurs harceleurs en dépit des faits, même graves et pouvant entraîner des dangers pour les enfants.

    • J’ignore quel type d’actions collectives sont menées.

      Pour ma part et pour les autres cas expérimentés, aucune espèce d’action collective n’a été effectuée, pas plus que d’action individuelle hormis celle de la victime qui se plaint et du médecin généraliste qui l’arrête quand la santé est attaquée après un temps plus ou moins long.

      Si les recours hiérarchiques, aux syndicats, au médecin du travail sont en premier lieu effectués, dans l’objectif de voir cesser ces agissements hors la loi, ils restent vain et renforcent le harcèlement sur l’employé : menaces, nuisances à la réputation, insultes, mise en doute de la santé mentale de la personne dénonçante, faux témoignages, fausses enquêtes ou rapports administratifs, voire faux médiateur (qui ne consulte pas la victime, ni ses témoins), pressions sur l’entourage ami, sur la famille etc…

      La victime est seule et voit sa situation encore de dégrader si elle a, chose rarissime, l’outrecuidance de persister en dénonçant les faits aux tribunaux, qui suivront, en grande majorité, l’argumentation fallacieuse de la partie adverse telle que.

      Les motifs, les faits et les pièces rapportés par la victime seront très « simplement » éludés.

      L’employeur semble utiliser un « manuel » bien rôdé, pour la démolition d’un employé dénonçant ou non , qui semble, malgré sa répétition quel que soit le secteur travaillé, validé par les juges, pour les cas expérimentés.

      Ce « manuel » mis en pratique permet d’éliminer « qui vous dérange » : les plus faibles (introvertis, pudiques et isolés) partiront d’eux mêmes (suicide, démission, mutation) et porteront à vie leur fardeau, que la situation cesse ou non, les autres « rétifs » ou « rebelles » seront massacrés, par tous moyens illégaux.

      Je ne fais partie du personnel chargé d’enseignement, mais néanmoins de la fonction publique de l’Etat.

      Il ne m’apparait pas possible au vu et su de ces situations d’encourager quiconque à un recours sans l’informer du risque très important qu’il encourt de se voir débouter sur des critères subjectifs, sans considération de son dommage, de son état, de la moralité, de la loi.

      Les textes du législateur, brillants, sont inappliqués à certaines personnes protégées, non du fait de leur compétence exceptionnelle ou de leur importance de fond dans la société mais en raison de leur seule position sociale, même si elle apparait alors usurpée, ou de leur appartenance à un corps.

      Ainsi, les suicides, démissions, dépressions, licenciements abusifs, mensonges, faux continueront laissant la place belle à des personnages pervers et lâches, encouragés dans leur minable tâche, par la collaboration des amis (relations), l’indifférence des collègues, l’inapplication de la loi.

      L’encouragement de ces situations est contraire, outre aux principes démocratiques, également à l’économie d’un pays tout entière.