Discrimination religieuse à l’embauche

vendredi 11 août 2006


Une dérive préoccupante se fait jour dans l’enseignement privé sous contrat avec l’Etat : les candidats enseignants sont maintenant sélectionnés en fonction de critères religieux.

C’est bien sûr totalement contraire au droit du travail - et aux droits de l’homme dans sa liberté de conscience.
C’est aussi aberrant dans un enseignement privé subventionné à plus de 80% par l’Etat, dont les maîtres sont totalement payés et contrôlés par ce même Etat,et dont les élèves viennent à moins de 7% pour un motif religieux (dont beaucoup issus d’autres religions ... ou athées).

Ceci est à rapprocher d’un discours qui resurgit sur le « rôle d’évangélisation de l’enseignement catholique ».

En juin 2005, une candidate au concours de professeur des écoles dans le privé (comme candidate externe, sans passage par la 1e année de CFP) reçoit le relevé de note du Rectorat la déclarant admise.

Comme le fixe la loi, il lui faut obtenir un contrat provisoire avec une école comme stagiaire 2e année au CFP. Mais, suite à sa demande, la Direction diocésaine la convoque devant une commission pour obtenir un « accord de l’enseignement catholique (agrément) » défini comme suit dans le « SitEcoles (UNAPEC) » : « il porte sur l’adhésion du candidat au projet des établissements catholiques d’enseignement ... »
Cet « accord » n’est défini légalement nulle part.

En fait, l’entretien (et un questionnaire préalable) porte principalement sur sa pratique religieuse et son « engagement » en faveur de l’enseignement catholique.

Quelques questions :

 Quel est votre parcours scolaire (en précisant s’il s’agit d’une scolarité dans le public ou le privé) ?
 Comment vous situez-vous par rapport à la croyance en Dieu ? Quelle est la mission de chaque chrétien ?
 Avez-vous participé ou participez-vous encore à des mouvements d’Eglise ...
 Etes-vous prêt à participer à des manifestations pastorales ? (En insistant qu’il y aura des messes avec, par conséquent, des prières !!)
 Si vous aviez un enfant qui remettait en cause l’existence de Dieu, que feriez-vous ? Quelle sera votre démarche ?
 Quelle est d’après vous la raison d’être de l’Enseignement Catholique ? Sur quoi repose son projet ? ... Considérez-vous que ce choix vous engage ?

La candidate a répondu honnêtement, sans cacher son cursus uniquement public et son absence de culture religieuse, et a été recalée sans motif explicite (oralement, il lui a été dit qu’elle n’avait pas le profil pour enseigner dans le privé catholique, mais que dans le public...).

La lettre qui lui annonçait la « perte du bénéfice du concours » était à entête du CFP, et signée des directeurs diocésains. Un candidat de la liste complémentaire a donc pris sa place...

Nous avons envoyé un courrier aux Ministère et Rectorat (appuyés d’appels téléphoniques aux responsables), précisant :

 le fait que le recteur est, de par la loi, seul organisateur du concours (or l’enseignement catholique usurpait cette prérogative puisque c’est lui qui prétendait décider de la « perte du bénéfice du concours ») ;

 la liste complémentaire n’est utilisable que s’il y a désistement ou « externement » (défini comme concernant les maîtres déjà contractuels ou ceux ayant déjà effectué des suppléances de plus d’un an, qui peuvent donc être dispensés d’une 2e année de formation). Ce n’était pas le cas, c’était donc là aussi un usage illégal ;

 le type de questions posées lors des entretiens constitue une discrimination à l’embauche sanctionnée par les codes du travail et pénal.

Suite à ses propres lettres, la direction l’a encore reconvoqué pour un entretien « d’appel », aboutissant au même refus.

Mais, trois jours plus tard, un directeur d’école lui a annoncé qu’elle était affectée dans son école par la direction diocésaine ...

Entre temps était en effet intervenu le Ministère pour rappeler à l’ordre la direction diocésaine, laquelle a aussitôt obtempéré. L’argument invoqué par le Ministère est le fait que les résultats du concours ne peuvent pas être remis en cause (soit le 1e argument que nous avions invoqué), mais il est certain qu’ils ont aussi pris peur face à la menace d’une action sur la discrimination religieuse.

Ce cas n’est pas isolé : 4 équipes du SUNDEP ont eu à défendre des « non-conformes » à Lyon, Paris, Créteil, Toulouse (dans ce dernier cas, pour 10 éliminés !), à chaque fois avec succès, ce qui témoigne d’une efficacité... mais aussi du caractère totalement illégal de ces discriminations.

Les candidats s’adaptent à l’hypocrisie ambiante (des listes de réponses type circuleraient auprès des candidats dans le secondaire ...), mais pas tous, notamment ceux victimes d’un parcours scolaire et d’emploi trop lisible, d’un nom à consonance maghrébine...

Si vous connaissez des personnes victimes de ces agissements, nous vous demandons de nous transmettre leurs témoignages (notamment sur le forum du site).

Nous sommes aussi bien sûr prêts à les défendre.

Commentaires

  • Bonjour,
    je suis actuellement aux oraux du CRPE privé de Lyon. je viens d’un cursus « public » et je n’ai pas beaucoup de connaissances sur les modalités concernant le crpe privé. Je sais que si je suis admise aux oraux et donc que j’ai réussi le concours, je devrais passer un entretien avec le directeur diocesain de Lyon. Ma question est la suivante car personne du CFP ou Diocese ne me repond... Dois-je actuellement démarcher les ecoles prives de mon secteur géographique pour comme le fixe la loi, obtenir un contrat provisoire avec une école comme stagiaire 2e année au CFP.Où dois-je attendre d’avoir eu cet entretien( si j’ai reussi il aura lieu la semaine prochaine...)
    Je suis perdue...les infos sont floues lorsque je demande en quoi consistent les questions de l’entretien on ne me répond pas clairement, je n’ai pas pu obtenir de brochure sur l’enseignement privé bref il faut toujours le faire de façon débrouillarde et écouter le bouche à oreille...
    si vous aviez quelques infos, vous me rendriez un grand service. Par avance MERCI

  • Bonjour je suis en première S et actuellement je dois rédiger un dossier sur la laïcité en France. Dans une des parties je traite de la discrimination religieuse à l’embauche. Je voudrais savoir si dans le secteur publique de telles discriminations peuvent avoir lieu et si oui si vous pouviez me donner des exemples. Ensuite je voudrez savoir si la discrimination pour cause d’origine (maghrébine par exemple) peut être considérée comme une discrimination religieuse ou non.

    Merci de me répondre le plus vite possible car je dois rendre mon travail pour le 25 février.

    Merci de me répondre sur ma boîte mail : mimi-cracra09 live.fr

    A bientôt.

    • Tout d’abord, même si les enseignants sont payés et contrôlés par l’Etat (pour les autres personnels, les établissements reçoivent une subvention qui finance leurs salaires), les établissements privés ne font pas partie du secteur public.

      La discrimination religieuse à l’embauche est institutionnalisée :
       les candidats enseignants, en plus de devoir réussir un concours (organisé par l’Etat), doivent passer un entretien devant un jury où beaucoup de questions relèvent des convictions et de la pratique religieuse. Bien sûr, de « mauvaises » réponses entrainent un refus d’embauche
       on doit constater (sans avoir de statistiques) que peu de profs maghrébins enseignent dans le privé (sauf en remplacement).

      Nous avons alerté plusieurs fois des responsables de l’Etat sur ces questions : trop souvent ils laissent faire, mais quand des cas précis, qui pourraient entrainer des poursuites judiciaires, leur sont présentés, leur intervention est alors très claire : ils imposent au privé de respecter la loi.

      L’article est une bonne illustration de ce type d’action.

  • Maître contractuel, de 1986 à 2005, j’ai dû démissionner suite à la mutation du conjoint. Dans une autre académie, en 2008, le rectorat propose ma candidature en priorté 1

    J’ai un entretien avec le chef d’établissement et son CPE. Ma candidature est refusée car je n’adhérerais pas au projet d’établissement. Le rectorat entérine sans m’en avertir. L’entretien portait sur mes aptitudes sportives (j’enseigne le français) et l’importance du bénévolat que je ne rejette pas ! J’ai cinq enfants : certainement pas disponible. Mes compétences pédagogiques ne sont pas abordées. Il était inutile pour eux de poser la question cruciale quant à mes convictions religieuses. Mon patronyme à consonance maghrébine suffit. Je proteste et compte saisir le tribunal administratif.

    Un tel type d’entretien dont le but n’est manifestement pas d’évaluer les forces et les faiblesses du candidat mais d’étayer un refus n’est hélas pas unique dans le monde du travail. Il est d’autant regrettable que ce genre de procédé puisse s’exercer aux dépens d’un candidat proposé par la fonction publique de la part de personnels du privé. En la matière, si je suis la première victime, c’est tout le corps enseignant qui est abusé ! Un grand merci à la loi Censi qui ne nous permet plus de nous défendre contre de tels abus. Un chef d’établissement n’est pas l’employeur. Que risque-t-il ?

    • Discrimination à l’embauche sur des critères religieux : « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement, de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise … en raison de … ses convictions religieuses … » (Code du Travail art L. 122-45, Code Pénal art 225-1).

      Donc ce type de comportement est illégal, et par ailleurs, contrairement à l’idée que voudrait faire passer l’enseignement catholique, les enseignants sont garantis par la liberté de conscience affirmée par la loi Debré (1959) et par l’article L.442-5 du Code de l’Education.
      Ainsi, les activités liées au « caractère propre » (dont l’éducation religieuse) ne peuvent qu’avoir lieu hors temps scolaire et sur volontariat.

      Le SUNDEP, malheureusement trop seul sur ce registre (les autres syndicats sont soit d’accord avec l’enseignement catholique soit ne souhaitent pas se mouiller sur ce dossier), défend régulièrement des enseignants sur ce point en obligeant l’Etat à respecter ses obligations d’employeur des maîtres.

      Ainsi, en juillet nous avons défendu victorieusement deux lauréates du concours de professeur des écoles que l’enseignement catholique prétendait écarter.

      On peut donc vous défendre. Contactez-nous.

  • Quand la discrimination à l’embauche encourage le petit négoce : achetez donc la lettre type de candidature pour intégrer l’enseignement catholique contre la modique somme de 1,80 euro.

    Voir en ligne : Lettre de motivation

    • C’est effectivement devenu une petite industrie, révélatrice de l’hypocrisie totale du système.

      L’enseignement catholique prétend filtrer les enseignants recrutés selon des critères religieux, ce qui est totalement illégal (« Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement, de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise … en raison de … ses convictions religieuses … », Code du Travail art L. 122-45, Code Pénal art 225-1), et que nous combattons.

      Or, la très grande majorité des candidats cherchent avant tout du travail et, même s’ils ont les convictions religieuses correspondantes (ce qui devient rare vu la baisse massive de la pratique religieuse), ils estiment que cela relève de leurs convictions privées.

      Que répondre notamment à une question comme : « comment présenter l’existence de Dieu à un enfant d’origine maghrébine ? ». Question réellement posée cette année dans des entretiens pour l’« accord collégial » suite à la réussite à un concours, et qui veut placer l’enseignant dans une perspective uniquement prosélyte pour gagner des consciences.

      Alors, des textes circulent avec des réponses types, qui semblent suffire à des interlocuteurs finalement plus attachés à une logique de soumission et de contrôle moral qu’à de véritables convictions ...

  • Merci pour votre passage et votre commentaire.
    Pour le moment, je m’emploie à interroger le rectorat sur la légalité de mettre à ma place quelqu’un de moins ancien.
    Je sens qu’on va me faire trainer ...
    Que faire de plus ?!

    • Il faut prouver la discrimination (types de questions posées, le meilleur serait d’avoir un écrit, sans cela un témoignage) ou le fait que sur les autres critères professionnels vous étiez indiscutable (note pédagogique [inspection], administrative [par le chef d’établissement] ...).

      Etes-vous sûre que celle qui a pris votre place vous a remplacée « poste à poste » (même matière, sans élément de priorité ...) ?

      Votre situation de déléguée académique rend évidemment les choses un peu plus compliquées (comme tout précaire, ce n’est pas propre à l’enseignement) car les marges d’appréciation de l’employeur sont élargies. Par contre vous y avez la possibilité d’un recours en prud’hommes (alors que, pour les « titulaires » de l’enseignement privé sous contrat, la loi Censi prétend le leur interdire).

      Piste à creuser : la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité). Cette nouvelle institution ne rend pas de décision, mais peut aider pour constituer un dossier.

  • Bonjour,

    Je fais partie de ses candidats recalés sans motif valable ; me concernant je porte un nom à consonnance magréhine et je suis née à Sarcelles.

    Ceci explique cela : je me suis présentée 6 fois au concours externe de Lettres Modernes, j’ai été 6 fois admise aux écrits et recalée aux oraux... la présentation de ma carte d’identité était obligatoire.

    J’ai tentée ma dernière carte avec le privé sous contrat cette année ; dans le cadre d’un pré-accord du diocèse je leur ai tenu un discours de tolérance et de partage et en leur expliquant que j’étais athée. Je ne leur ai pas raconté bien sûre mes précédentes tentatives avec le secteur public. Sachez qu’ils ont rejeté ma demande et m’ont conseillé de faire un bilan de compétences.

    Aujourd’hui, j’ai raté ma vie professionnelle et je suis dans une extrême précarité, mon « pédigree » me fait la vie dure et pourtant je suis métis de mère française et père d’origine magrehbine intégré ; j’ai étudié à la sorbonne Paris IV et je vis sur paris depuis 30 ans.

    A 33 ans et un bac plus 5 ( double cursus universitaire), des expériences de contractuelle dans l’enseignement, je me retrouve à la case départ ( on ne me propose plus de poste) avec la souffrance quotidienne de me sentir désintégrée par le regard des examinateurs et chargés de recrutement.

    je ne supporte plus l’hypocrisie des acteurs de ce milieu sur ce qu’il se passe. Je ne me sens pas une citoyenne comme les autres...