Temps de travail et négociation collective : régressions sociales et démocratie syndicale niée

mercredi 30 juillet 2008


Le projet de loi portant « rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail » a été adopté par le Sénat le 23 juillet 2008, après avoir été adopté par l’Assemblée nationale le 8 juillet 2008. Solidaires s’est joint à divers recours au Conseil Constitutionnel pour contester des dispositions antidémocratiques et de restriction de la liberté syndicale (sur la partie « démocratie sociale » de la loi).

Il comporte 2 volets : l’un sur le temps de travail, l’autre sur le « dialogue social ».

Ci-dessous analyse point par point des changements, et commentaires par Solidaires de leurs implications concrètes.

Comparatif entre les règles actuelles et les principales dispositions prévues :

Aujourd’huiLe projet de loi
HEURES SUPPLEMENTAIRES
Fixation du contingent :

- Contingent légal de 220 heures par an. Possibilité d’y déroger par accord collectif de branche en priorité

- Autorisation de l’inspecteur du travail obligatoire en cas de dépassement du contingent

Repos compensateur :

- Obligatoire en cas d’heures supplémentaires au-delà du contingent

Fixation du contingent :

- Possibilité de déroger au contingent légal par accord collectif d’entreprise en priorité

- Plus d’autorisation obligatoire de l’inspecteur du travail en cas de dépassement du contingent

Repos compensateur :

- Suppression du repos compensateur obligatoire en cas d’heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent

- Octroi d’une « contrepartie obligatoire en repos » négocié par accord collectif d’entreprise

CONVENTIONS DE FORFAIT ANNUEL EN HEURES ET JOURS
Qui peut signer des conventions de forfait heures : cadres autonomes et non-cadres itinérants dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée ou qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps

Forfait jours : le Code du travail fixe à 218 le nombre maximum de jours travaillés

Forfait heures : cadres autonomes et « salariés qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps »

Forfait jours : prévu par accord collectif de 218 jours maximum (possibilité de dépasser 218 jours sous conditions). A défaut d’accord, ce nombre maximal est de 235 jours

ORGANISATION DU TEMPS DE TRAVAIL
Divers mécanismes légaux : travail par cycle, annualisation (modulation)…

Obligation d’indiquer les raisons de recours à l’annualisation dans l’accord d’entreprise l’instituant

Remplacement des différents dispositifs d’organisation du temps de travail sur la semaine et sur l’année par un dispositif unique

Plus d’obligation d’indiquer les raisons de recours à l’annualisation dans l’accord d’entreprise

ACTEURS DE LA NEGOCIATION COLLECTIVE
Les syndicats représentatifs : 5 syndicats sont considérés représentatifs de plein droit. Les autres syndicats doivent prouver leur représentativité sur la base de plusieurs critères (cotisations, ancienneté, influence…)

Possibilité, dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, de conclure des accords collectifs avec des élus du personnel ou un salarié mandaté (personnes non syndiquées)

Dans l’entreprise, le syndicat doit recueillir au moins 10 % des suffrages aux élections professionnelles.

Dans la branche et au niveau national, le syndicat doit avoir recueilli au moins 8 % des suffrages

Possibilité, dans les entreprises de moins de 200 salariés, de conclure des accords collectifs avec des élus du personnel ou un salarié mandaté

CONDITIONS DE VALIDITE DES ACCORDS COLLECTIFS
Définies par les partenaires sociaux (signature par des syndicats majoritaires ou absence d’opposition des syndicats majoritaires)

A défaut, pas d’opposition des syndicats majoritaires (ayant recueilli au moins 50 % des suffrages)

Signature par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli au moins 30 % des suffrages lors des élections professionnelles

Pas d’opposition des syndicats majoritaires

Source Juritravail

Communiqué de Solidaires du 9 juillet 2008

Démocratie sociale, temps de travail : le passé est notre avenir !

L’Assemblée nationale vient d’adopter le projet de loi « portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail ». La partie du texte sur la « démocratie sociale » reprend, pour l’essentiel, « la position commune » signée entre la CGT, la CFDT, le MEDEF et la CGPME.

Elle accroît les obstacles mis à l’existence de nouvelles forces syndicales, ne met pas en place le principe de l’accord majoritaire et exclut de la mesure de la représentativité interprofessionnelle plusieurs millions de salariés des petites entreprises privées et les fonctionnaires pourtant concernés par les dossiers inter¬professionnels.

La partie du texte sur le temps de travail constitue une régression sociale majeure. Concrètement l’employeur pourra aller jusqu’à 405 heures par an en matière d’heures supplémentaires, sans même l’autorisation de l’inspection du travail.

D’obligatoire aujourd’hui, le repos compensateur fera partie dorénavant de la négociation. Le forfait jours pour les salariés subissant l’annualisation du temps de travail passe de 218 à 235 jour par an, des accords pouvant même aller au-delà. Ce type de forfait, réservé aujourd’hui aux cadres et aux itinérants, pourra être étendu à d’autres salariés.

Le paiement des heures supplémentaires passe à 10 % pour les cadres au forfait et pour les salariés de certaines branches comme l’hôtellerie-restauration. Enfin le délai pour prévenir les salariés d’un changement de leur emploi du temps pourra être inférieur à sept jours.

Au-delà de ces mesures précises, ce projet de loi constitue une déréglementation considérable du droit du travail. Sa logique est d’en finir, de fait, avec l’existence d’une durée légale du travail s’appliquant à toutes les entreprises. Une entreprise pourra fixer la durée du travail et ses contreparties en dérogeant aux obligations jusqu’ici établies dans les branches. Il lui suffira de signer un accord avec des organisations syndicales représentant 30 % des salariés. Dans les entreprises sans présence syndicale, l’employeur pourra même « négocier » un accord individuel de gré à gré avec un salarié. La notion d’ordre public social s’appliquant à tous les employeurs disparaît de fait.

Flexibilité accrue des salariés, augmentation de la durée du travail, sans même des revenus supplémentaires, pouvoir accru des employeurs, voilà ce qui attend les salariés. Le fait qu’un tel projet ait pu être adopté montre la carence des stratégies mise en œuvre par le mouvement syndical. Toutes les organisations syndicales doivent être interpellées par ce qui vient de se passer.

C’est pourquoi l’Union syndicale Solidaires lance un appel pour que soient discutés par les salariés, mais aussi par le mouvement syndical, les voies et les moyens de reprendre l’offensive contre ce gouvernement.