Souffrance au travail des enseignants

vendredi 30 octobre 2009


Troubles du sommeil, dépression, maladies cardio-vasculaires... Les souffrances que de nombreux enseignants reconnaissent subir peut avoir des conséquences dramatiques sur leur santé et leur vie.

« Il ne fait absolument aucun doute que les enseignants sont parmi les personnes les plus touchées par le stress au travail ». Cette phrase, extraite d’un rapport du Comité syndical européen de l’éducation (CSEE), résume à elle seule la situation dans les 27 pays de l’Union européenne. Et, même si aucune évaluation spécifique n’y est disponible, la France n’est pas épargnée par le phénomène.

Par ailleurs, ces souffrances sont le produit de logiques managériales, les mêmes qui dans le secteur privé mènent certains jusqu’au suicide, et auxquelles le milieu enseignant n’échappe pas.
Elles sont le résultat de la politique gouvernementale qui réduit les postes (et donc multiplie les sureffectifs) et veut insécuriser les enseignants par des changements incessants de consignes, des fixations d’objectifs quantitatifs absurdes.
Elles sont aussi le fruit dans l’enseignement privé de pratiques de certains directeurs(trices) d’établissement qui ne conçoivent leur rôle que dans la contrainte, la volonté de soumission.

L’article ci-dessous vise aux premières réactions face à ces signes de tension.

Le SUNDEP s’investit déjà et veut intensifier ses initiatives dans ce domaine, à la fois dans les établissements et par le renforcement des soutiens institutionnels que les enseignants du privé sous contrat doivent trouver auprès des structures spécialisées des rectorats et inspections académiques.

 Souffrance des enseignants : des causes multiples

Laurence Janot l’étudie depuis plusieurs années. Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’IUFM d’Aquitaine, elle a coécrit un livre sur le sujet* et identifié plusieurs sources de stress.

« Celle qui apparaît le plus souvent, tous enseignants confondus, concerne les relations avec les élèves, les parents, les collègues, la hiérarchie... Les enseignants souffrent également d’un manque de soutien et de la difficulté à intéresser les élèves chaque jour. En outre, ils ne savent plus trop ce que l’on attend d’eux et, surtout, ce qu’on leur demande ne correspond pas forcément à leur éthique. »

A cette liste, non exhaustive, s’ajoutent des causes moins spécifiques : surcharge de travail, cumul des contraintes, manque de reconnaissance... Quand le seuil de rupture est atteint, le stress se transforme en épuisement professionnel, et l’enseignant ne peut plus remplir sa mission.

 Ne pas s’isoler

Sociologue, maître de conférences à l’université Lumière Lyon 2, coauteur de « La souffrance des enseignants »**, Françoise Lantheaume est formelle, lorsque les problèmes apparaissent, il faut d’abord les partager : « Pas pour faire corps contre les élèves ou les parents, car il s’agirait d’une réaction défensive qui n’aidera pas. Il s’agit d’échanger entre collègues pour discuter du travail : comment allons-nous nous y prendre ? »

Autre avantage de la concertation, elle facilite les arbitrages, fréquemment générateurs de stress. « L’enseignant qui commence à ne pas aller bien, complète Laurence Janot, doit aussi se tourner vers l’institution pour qu’elle l’informe des réseaux auxquels il pourra s’adresser : médecins, assistants sociaux...

Le problème, c’est que la médecine de prévention n’est pas encore très développée dans l’Éducation nationale ». En partageant son stress, l’objectif est double : aller chercher dans son entourage, professionnel, amical, familial, des ressources que l’on ne trouve plus en soi, pour réussir à passer du statut de victime à celui d’acteur.

 Dissocier vies privée et professionnelle

La nature du travail des enseignants a changé, ajoute Françoise Lantheaume. « Il en résulte une porosité entre vies personnelle et professionnelle, qui peut avoir des aspects négatifs. » Mieux vaut en effet éviter de ramener chez soi les conflits vécus dans la sphère scolaire. « Il faut trouver la bonne distance aux élèves, le mélange de bienveillance, d’autorité, de rigueur, d’ouverture... », explique Laurence Janot.

Le professeur ne doit jamais se mettre au même niveau que l’élève, sous peine de se laisser complètement emporter par ses émotions. « C’est un travail très subtil, qui se joue dans tous les métiers de la relation humaine. L’enseignant doit d’abord bien se connaître, pour ensuite être capable de comprendre, sans pour autant l’autoriser, la réaction d’un élève, et y répondre sans agressivité. Cela se passe d’ailleurs de la même façon dans les conflits avec les parents ».

Autre constat tiré par Françoise Lantheaume de ses travaux, « les enseignants qui résistent le mieux au stress sont ceux qui exercent une autre activité : syndicale, politique, artistique, associative... Cela leur permet notamment de trouver des ressources dans cet autre monde, qu’ils utilisent ensuite dans leurs classes. »

 Ne pas culpabiliser

Reste que l’axe personnel, aussi important soit-il, n’est pas seul en cause. « On focalise toujours sur l’observation de l’individu », constate Laurence Janot. Pourtant, en stigmatisant les personnes, l’institution ne fait que renforcer leur vulnérabilité. « Or, toutes les études montrent bien que l’organisation a un impact très important. Et le problème de l’un est souvent partagé par d’autres ». La prévention du stress passe donc aussi, et peut-être surtout, par l’évolution de l’organisation du travail, des rapports hiérarchiques et des pratiques de management au sein des établissements scolaires. C’est aussi l’avis de Françoise Lantheaume : « Quel que soit le type d’établissement, c’est l’existence de collectifs de travail qui donne de la force aux enseignants. »

Patrick Lallemant, site VousNousils

* « Le stress des enseignants », Laurence Janot-Bergugnat, Nicole Rascle, Ed. Armand Colin, 224 pages, 24€

** « La souffrance des enseignants », Françoise Lantheaume, Christophe Hélou, Puf, 192 pages, 15€