Le Collectif National de Résistance à Base Elèves (CNRBE) appelle au boycott du Livret personnel de compétences

mardi 29 mars 2011


Avec le LPC, l’État français entreprend silencieusement le fichage informatique centralisé des compétences des citoyens, dès l’école et tout au long de la vie.

Le Collectif National de Résistance à Base Elèves (CNRBE) alerte sur la mise en œuvre d’un fichage informatique d’une nature et d’une ampleur jamais imaginées : celui des compétences depuis la petite enfance et tout au long de la vie. Ces compétences déclinées en sous-compétences, définies par l’Etat comme des connaissances, des capacités et des attitudes [1], recueillies dans le Livret Personnel de Compétences, vont être attachées à l’identité des personnes par l’intermédiaire de leur matricule [2] et enregistrées dans d’énormes banques de données [3].

Ce Livret Personnel de Compétences n’a rien à voir avec les livrets utilisés depuis des années par les enseignants du primaire. Il s’agit du fichier mis en place en ce moment dans les établissements scolaires, celui qui sert à ficher la validation en mode binaire « oui » ou « non » des compétences des paliers 1, 2 et 3 du socle commun des connaissances.

Ce fichage est mis en place dans le plus grand silence [4] : quelques lignes parlant d’une « application numérique » dans une simple circulaire [5] et le tour est joué.

Or, les compétences sont des renseignements extrêmement sensibles, tout autant que la religion, les opinions ou la santé. Qui peut garantir quelle en sera l’exploitation immédiate ou future ? On voit déjà les volontés de prédiction revenir en force…[6] Tout l’historique est gardé en mémoire : qui a attribué les « compétences », quand, où, les tentatives, les échecs. Qui peut prévoir les conséquences sur les personnes de se savoir tracées de façon irréversible sur la durée ? Le droit à l’oubli n’existe plus : ficher les compétences revient aussi à ficher les incompétences…

Rappelons que ces « compétences » avaient été introduites dans la base de données Base élèves en 2007, puis supprimées en 2008 sous la pression de la société civile. Voilà qu’elles réapparaissent dans un nouveau fichier. Ces données révèlent les difficultés des enfants, leurs handicaps, alors que le ministre avait annoncé ces renseignements supprimés. Comme l’a toujours soutenu le CNRBE, Base élèves et l’immatriculation de tous les enfants sont bien la première pierre d’un gigantesque fichage.

Encore sous forme papier cette année seulement pour le primaire (l’application numérique est prévue pour septembre 2011), déjà sous forme électronique pour le secondaire, le LPC fiche le parcours des enfants tout au long de la scolarité obligatoire [7]. Mais le lycée est aussi concerné avec le « Passeport orientation formation » et certaines universités ont mis en place un Portfolio ou « portefeuille ». Dans le monde du travail, le « Passeport orientation formation tout au long de la vie » fait son apparition. Il s’agit d’un fichage de même nature destiné à suivre la personne tout au long de la vie, en lui ôtant la maîtrise de son CV.

A quatre mois du brevet des collèges, en rendant obligatoire pour son obtention la validation des compétences en ligne — entendez le fichage – dans le Livret Personnel de Compétences, le ministre de l’Éducation nationale veut ôter tout moyen de contestation aux jeunes, aux parents et aux enseignants. De plus, pour passer outre les oppositions, il demande que ce travail soit effectué par le professeur principal et/ou le chef d’établissement [8].
•Le CNRBE attire l’attention sur le fait que valider toutes les compétences pour s’opposer à ce dispositif, comme l’ont déjà envisagé les équipes pédagogiques de certains établissements, conduit quand même à mettre en place le fichage, et que la seule façon de s’y opposer vraiment est le boycott pur et simple.
•Le Collectif appelle sans réserve au boycott du Livret Personnel de Compétences en conseil exceptionnel des enseignants des collèges, comme cela commence à se faire, et dans les conseils d’école du primaire. Il est important d’exprimer haut et fort dans les conseils d’administration et dans les conseils d’école, que ni les parents, ni les enseignants, ni les chefs d’établissements ne participeront à ce fichage liberticide de la population.

L’État projette de remplacer en 2012 ces différents dispositifs par un « Livret de compétences » encore plus intrusif — expérimenté dès cette année dans 166 établissements [9] — rassemblant dès l’école primaire et tout au long de la vie, les « compétences, acquis, aptitudes, réalisations, découvertes, expériences, engagements », « diplômes, attestations, certifications », acquis en milieu scolaire, familial, associatif, en entreprises, par les collectivités territoriales, les consulats…

La charge de l’éducation est ainsi reportée sur les familles avec toutes les inégalités culturelles et financières que cela comporte, en plus de l’atteinte aux libertés constituée par ce fichage, la mise en danger du fondement même de l’école et la démocratie.

De plus, l’État tente d’impliquer les associations en leur demandant de définir des compétences ou en conditionnant des subventions à la validation de compétences, sans les avoir informées qu’il s’agit de participer au fichage de la population.

Si les compétences des élèves en dehors de l’école ne sont pas sans intérêt, c’est le fait qu’elles soient stockées sous forme numérique qui est extrêmement liberticide. Au lieu de valoriser les jeunes par une reconnaissance plus globale de leur personne, on les habitue ainsi à rédiger des curriculum vitae qui n’ont plus aucun rapport avec une éducation émancipatrice, dans un environnement numérique aux parfums de contrôle totalitaire.

Développé dès 1996 par des entrepreneurs européens et soutenu par la Commission européenne, ce projet silencieux résume l’éducation à la préparation au marché du travail et conditionne les élèves et les familles à consommer de l’éducation et de la formation tout au long de la vie. Les ministres européens alors tous socio-démocrates, s’étaient opposés à ce projet [10]. L’Éducation étant du ressort des États, la France qui n’a aujourd’hui comme hier aucune obligation de s’y plier, montre une volonté purement idéologique.

Le Collectif, suivant en cela les recommandations du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, demande plus que jamais que soit abandonné tout système de fichier centralisé et partageable regroupant des renseignements personnels. Les données nominatives doivent rester dans les établissements scolaires.


Notes

[1] Décret du 11 juillet 2006 (la dimension « fichage des compétences » n’apparaît pas) : « chaque grande compétence du socle est conçue comme une combinaison de connaissances fondamentales pour notre temps, de capacités à les mettre en œuvre dans des situations variées mais aussi d’attitudes indispensables tout au long de la vie, comme l’ouverture aux autres, le goût pour la recherche de la vérité, le respect de soi et d’autrui, la curiosité et la créativité. »

[2] Un matricule est un numéro unique qui permet de rassembler différents renseignements issus de différents fichiers. Pour les élèves, il s’agit de l’identifiant national élève (INE), actuellement académique pour le secondaire et national pour le primaire. Attribué automatiquement à l’inscription dans Base élèves au primaire, l’INE devait suivre chaque élève pendant 35 ans. Le Conseil d’État a exigé en juillet 2010 de réduire cette durée, jugée trop longue… mais le ministère a prévu de contourner la difficulté : en projet, un Répertoire national des identifiants élèves (RNIE).

[3] Bases académiques pour le secondaire, il est prévu que le support devienne national par le « Webclasseur » de l’ONISEP.

[4] Un « livret électronique » avait été discrètement annoncé en 2007, sans qu’il soit évident de comprendre la dimension « fichage » de la validation des compétences. Les compétences ont été ajoutées dans le dispositif Base élèves en 2007 (sans plus de formalités) : la dimension « fichage » est alors clairement apparue. Suite à une forte contestation, les compétences ont été retirées de Base élèves en 2008, laissant croire que le gouvernement et la CNIL ne poursuivraient pas dans cette voie. Le fichage des compétences réapparaît aujourd’hui beaucoup plus insidieusement encore dans le point 4 d’une simple circulaire instaurant le Livret Personnel de Compétences (voir note 5), où il est simplement question d’une « application ». On peut souligner que la CNIL s’était jusque-là opposée au CV électronique… et se montre actuellement parfaitement silencieuse à ce sujet !

A l’Assemblée nationale, lors du vote de la loi d’orientation et de formation, le mot « portabilité » de la formation n’a pas non plus été compris comme se référant à un fichage. Une terminologie trompeuse laisse croire par ailleurs que ces documents resteront personnels tout au long de la vie : « livret personnel de compétences » à l’école, et « Ce document est donc strictement personnel » pour le « Passeport orientation et formation » (ref : circulaire n° 2008-092 du 11/07/2008). Ces documents n’ont pourtant rien de « personnels » puisqu’il s’agit de fichiers dont les données sont stockées par l’Etat avec le concours d’entreprises privées.

[5] Bulletin officiel n°27 du 8 juillet 2010 : Enseignements primaire et secondaire ; Mise en œuvre du livret personnel de compétences ; 4. L’application numérique « Livret personnel de compétences » (« LPC »).

[6] Communiqué de Presse du 14 février 2011 du Collectif « Pas de 0 de conduite » : « Sept ans après son premier rapport où il avait « inventé » l’idée fallacieuse du dépistage dès la crèche des bébés agités pour prévenir la délinquance, J.A. Benisti récidive dans un second rapport sur la prévention de la délinquance des jeunes ».

[7] Les dispositifs d’automatisation de l’orientation (Affelnet CM2/6e, 3e et Admission Post-Bac) permettent de faire suivre les renseignements déjà entrés et de nouveaux renseignements au niveau supérieur, là encore sans que les personnes aient conscience que ces données sont entrées dans des traitements de données. Le CNRBE a la preuve que ces dispositifs ont été mis en œuvre illégalement.

[8] Les chefs d’établissement sont soumis à des primes ou à des sanctions. On sait que des directeurs d’école qui ont refusé de remplir Base élèves ont été contraints d’abandonner leur direction ou ont été sanctionnés. Des primes ont été attribuées pour les évaluations du primaire destinées à alimenter le fichier des compétences.

[9] Bulletin officiel du 7 janvier 2010 : « Enseignements primaire et secondaire ; Expérimentation d’un livret de compétences en application de l’article 11 de la loi n° 2009-1437 du 24-11-2009 relative à l’orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie. » Seul l’appel à projet permet de comprendre qu’il s’agit d’un fichage.

[10] Voir pour s’en convaincre un documentaire de 1999, Le cartable de Big Brother, de Francis Gillery (reproduit ici avec la retranscription des principaux témoignages), qui énonce clairement ce qui se trame aujourd’hui.

par retraitbaseeleves le 18 mars 2011

Voir aussi :

•Ligue des droits de l’homme de Toulon : http://www.ldh-toulon.net/spip.php?rubrique117
•SNES national sur l’approche par compétences et les enjeux. Le travail de recherche est particulièrement néanmoins l’aspect « fichage » n’a pas été traité. Ceci montre que l’Etat français avance de façon totalement opaque.
•Diaporama Le LPC, Le livret ouvrier de Jean Valjean.
http://retraitbaseeleves.files.wordpress.com/2010/12/lpc-pour-les-nuls2010.pdf