Que l’on soit à la CGT, à Solidaires, ou même partisan.es de collectifs du Front social…
Nous sommes nombreuses et nombreux à nous interroger : que se passe-t-il, pourquoi ça ne prend pas, pourquoi la grève, franche et massive, ne s’impose-t-elle pas dans le paysage social de ce début de quinquennat macronisé ? Le sentiment d’être le dos au mur ou de s’y cogner à répétition n’est agréable pour personne, il amène son lot d’aigreur et de coup de sang. Pourtant, c’est bel et bien maintenant qu’il faut garder la tête froide et réfléchir à nos stratégies de mobilisation. Sans évacuer les carences, les difficultés, mais en se donnant tout de même des perspectives pour les mois à venir.
On peut rejeter la faute à la forme de la contestation depuis le 12 septembre, les journées de grève de 24 heures « saute-mouton », et à leurs organisatrices, les « directions syndicales » : ce serait croire que toutes les causes de nos difficultés viendraient « d’en haut ». Pourtant, dans nos organisations syndicales le fédéralisme n’est pas à ce point défaillant et c’est bien là que se construisent, démocratiquement, les orientations et les stratégies. Jean-Claude Mailly en a récemment fait les frais.
On peut aussi étriller le corporatisme, par exemple des syndicats de fonctionnaires qui, avec la journée de grève du 10 octobre, seraient venus percuter la mobilisation interprofessionnelle : mais l’enjeu n’était pas de dénoncer, mais de prendre appui sur cette mobilisation, corporative oui, pour y faire converger d’autres revendications. C’est ce qu’ont tenté plusieurs intersyndicales départementales, inscrivant de fait cette journée dans la suite des 12 et 21 septembre.
La réalité – et il ne sert pas à grand-chose d’en fantasmer une autre – c’est que, même si ce n’est pas l’atonie la plus totale, on est encore loin de l’ébullition qui fait que le rythme d’une mobilisation n’appartient plus aux calendriers d’action mais vient se couler dans la vitalité des assemblées générales de grévistes. Vraiment loin.
Discutons de tout
On peut toutefois estimer que des initiatives fortes prises par une intersyndicale nationale un peu plus dynamique aideraient à donner confiance : certain.es collectifs syndicaux mettent ainsi en avant l’idée d’appeler à deux ou trois jours de grèves consécutifs. Pourquoi pas, il faut discuter de cette idée là et il n’y a pas de raison de ne pas la proposer à l’intérieur de nos organisations. Même si le niveau de mobilisation réellement existant laisse songeur sur une volonté plus forte de faire trois jours de grève d’affilée qu’un jour, difficilement, par mois. Et l’état des rapports intersyndicaux étant ce qu’il est, on peut douter obtenir un tel appel unitaire nationalement (et rapidement). D’autres, c’est le cas du Front social, proposent une marche sur l’Elysée le samedi 18 novembre : pour le coup la piste choisie nous emmène un peu loin du blocage de la production et des services, mais si cette idée rencontre la volonté de collectifs syndicaux et de salarié.es elle fera partie de ce mouvement social, tel qu’il est. La mise en place d’une caisse de grève nationale, comme tente de le faire le syndicat Info’com-CGT, pose des questions qu’il faut regarder sincèrement : si l’objectif est de généraliser la grève, qui va donner de l’argent à qui ? Ne court-on pas le risque de favoriser la grève par procuration ? Il s’agirait dans ce cas, plutôt que de faire grève, de subventionner la grève des secteurs « bloquants » (ou présentés comme plus que les autres en tout cas)… mais ce qu’ont dit les grévistes des raffineries en 2016 c’est qu’ils et elles avaient surtout besoin qu’il y ait de la grève le plus possible, partout. Pour autant, il ne faut pas nier que l’aide apportée à des milliers de salarié-es par ce biais ainsi que la grande transparence de l’opération sont éminemment appréciables.
Toutes ces idées, ne nous feront pas sortir du dilemme dans lequel nous sommes : si on veut reconduire et amplifier une grève, encore faut-il qu’elle existe. Continuons, sans lâcher, de construire ces journées de grève de 24 heures, toute « saute-mouton » soient-elles (et la prochaine, malgré tout, est celle du 16 novembre), mais comme des journées de colère, de révolte sur les lieux de travail. Utilisons-les pour que la parole se libère au travail, que les salarié.es s’expriment. Utilisons-les pour organiser en régions des manifestations, des actions qui sortent de l’ordinaire de la manif de centre-ville et qui soient utiles pour le cadre de mobilisation que nous avons choisi : défilons, grévistes et sections syndicales CGT, SUD ou FO dans les zones d’activités commerciales et industrielles, invitons à débrayer, retrouvons le goût des blocages ponctuels, en ciblant là encore les intérêts économiques. Ça ne remplacera pas une grève reconduite dont on a pu voir l’efficacité pour les routiers par exemple. Mais, 1/ ça peut mettre du baume au cœur ; 2/ ça a le mérite de placer le curseur de la mobilisation là où il doit être, appuyé sur une réalité sociale. Et sur ce plan, il y a encore fort à faire.
Même pas mort
Car l’une des leçons des séquences lois travail 1 et 2, c’est que le patronat voudrait voir le syndicalisme mort et enterré. Six pieds sous terre si possible. Son but est d’effacer cette réalité sociale qu’est la lutte des classes, pour nous transformer en « entrepreneurs et entrepreneuses de nos propres vies », nous faire avaler la fable du « renard libre dans le poulailler libre ». Et nous n’avons pas fini de nous battre, car ce n’est qu’une séquence – longue, certes – d’une bataille plus large que nous livre le Thatcher hexagonal. Face à ça, certains, comme Laurent Berger de la CFDT, voient leur salut dans leur rôle de « partenaires sociaux »… auquel même le gouvernement ne semble pas trouver grand intérêt. Autant chercher un boucher végétarien dans un abattoir. Jean-Luc Mélenchon quant-à-lui, voudrait profiter des difficultés que traverse le syndicalisme pour « en finir avec la Charte d’Amiens ». La ficelle est un peu grosse et réactive des ambitions d’hégémonie politique sur le mouvement social… qui ont déjà suffisamment pesé, et lourdement, du temps du lien quasi-organique entre le PCF et la CGT par exemple. Et qui surtout s’appuie sur des illusions parlementaristes et institutionnelles dont ont peut bien se passer : ce n’est résolument pas notre terrain.
Entre ces deux écueils, c’est bien au contraire toute la démarche de la Charte d’Amiens qu’il faut retrouver. Faire du syndicalisme un acteur majeur du changement de société est sans doute le défi le plus urgent pour les années à venir, toute sa pertinence étant d’agir à partir du terrain même de la lutte des classes. Pour ça, il nous faut exprimer haut et fort des revendications qui puissent avoir une portée équivalente à celle des 8 heures pour la CGT de 1906 (celle de la Charte d’Amiens, tiens), qui combinent à la fois amélioration immédiate – et vue comme telle par les salarié.es – et projet de société, ici libérant le temps de la rapacité patronale. Soutenir et faire connaître aussi les expériences d’autogestion, comme celles des Scop-Ti ou de Vio.Me qui démontrent que les richesses sont bel et bien produites par celles et ceux qui travaillent.
Et dans un mouvement parallèle il faut renforcer, continuer d’utiliser l’outil syndical, le diversifier et le rendre toujours plus vivant, l’adapter, pour mieux y faire face, aux conditions contemporaines d’exploitation et d’oppression. Remettre en débat en son sein les stratégies de mobilisation. Le rendre plus solidaire et interprofessionnel, plus attentif encore, plus acteur des résistances des travailleurs et travailleuses ubérisé.es, des combats pour la justice et la dignité dans les quartiers populaires, de ceux pour les droits des femmes… Les effets combinés d’un tel renforcement, tout à la fois des organisations que des perspectives de transformation sociale, permettraient d’affirmer d’autant plus le rôle de contre-pouvoir que le syndicalisme se doit de remplir.
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