Education : Blanquer, saison 2

samedi 20 octobre 2018


Article écrit par Philippe Watrelot, enseignant, ancien président du CRAP-Cahiers Pédagogiques publié dans la revue Alternatives économiques, du 16-10-2018.

Vous avez aimé la saison 1 ? La saison 2 s’annonce riche en rebondissements et en coups tordus dignes des meilleures séries. Le premier épisode de la saison 2, intitulé « un budget en trompe l’œil » a déjà été diffusé et a eu pas mal d’impact. Et les prochains épisodes qui s’annoncent comme « la loi Blanquer qui ne disait pas son nom » ou encore « la réforme de la formation » semblent tout aussi palpitants…

Mais cessons l’ironie. Sans faire de la prospective fumeuse ou de lire dans les pensées, il n’est pas inutile d’essayer de recenser les projets en cours dans le monde de l’éducation, à commencer par ceux en germe dans le projet de loi présenté lundi 15 octobre au Conseil supérieur de l’éducation.

Pour cela, nul besoin d’une boule de cristal. Il suffit de s’appuyer sur des déclarations déjà faites et des éléments de programme pas encore réalisés. Les rapports (parlementaires ou autres) sont aussi une source, car ils sont souvent plus ou moins téléguidés par le ministère ou en cohérence avec des idées agitées dans les hautes sphères. Beaucoup étaient déjà lisibles et annoncés dès l’année dernière.

Résumé de la saison 1…

Mais avant de regarder ce qui se prépare, il n’est pas inutile de regarder dans le rétroviseur et de se pencher sur les points saillants de cette première année. Elle a été marquée par une vision très « politique » de l’action publique, dans la mesure où il s’agissait de montrer qu’on agit vite pour remplir les promesses électorales. Au risque de l’impréparation, même si on sait bien que le temps de l’éducation n’est pas celui du politique. Il vaut mieux quelquefois prendre le temps de la mise en œuvre et faire le travail de conviction des personnels plutôt que de se précipiter et d’imposer. Mais, un mandat présidentiel dure cinq ans et le temps long ne résiste pas à la logique électorale.

Les classes de CP dédoublées en éducation prioritaire ne se sont pas faites sans mal

La principale mesure mise en avant est celle des CP dédoublés en éducation prioritaire. Elle est présentée dans la presse comme la principale mesure « sociale » du ministre. On peut cependant souligner que son application ne s’est pas faite sans mal : problèmes de locaux, remise en question d’autres dispositifs… Et surtout, dans un contexte de rigueur budgétaire, elle se fait à budget constant. Cela se traduit donc par un rééquilibrage du secondaire vers le primaire, mais aussi par des classes de primaire plus chargées ou supprimées dans certains secteurs (les écoles rurales ou parisiennes). On a déshabillé Pierre pour habiller Paul…

Sur le même sujet, lire la chronique de Watrelot : « Jean-Michel Blanquer : un ministre de l’Education en marche, mais dans quel sens ? »

Il n’est pas non plus inutile de rappeler (comme le fait l’Observatoire des inégalités) que les dédoublements ne concernent que 10 % des élèves de CP (donc 2 % de l’ensemble du primaire) et que 25 % des élèves défavorisés de CP. Même si cette mesure semble efficace sur le court terme pour les élèves, il faut donc aussi en voir les limites. Le ministre ne va pas pouvoir tenir cinq ans avec cette mesure « de gauche ». Ni même avec le dispositif « devoirs faits » qui s’est mis en place tant bien que mal dans les collèges.

Durant l’année écoulée, la danse préférée de Jean-Michel Blanquer a été le « moonwalk ». Ce pas popularisé par Michael Jackson donne l’impression d’avancer alors qu’on recule ou fait du sur-place. Cela a été le cas avec plusieurs mesures que ce soit l’aménagement de la réforme du collège ou bien encore celle des rythmes scolaires (85 % des élèves sont revenus à la semaine de 4 jours). Beaucoup de mesures cosmétiques étaient aussi des annonces de dispositifs qui existaient déjà. Ainsi, les enseignants ont appris qu’ils allaient devoir faire des dictées, chanter la Marseillaise, proposer des évaluations diagnostiques, etc. Toutes choses qu’ils faisaient déjà. Mais cette communication à outrance n’est pas destinée aux enseignants. Elle vise avant tout une opinion et des médias qui manquent de recul sur la politique éducative.

Un été très actif

Cette communication n’a pas cessé durant les vacances. Jean-Michel Blanquer s’est rappelé qu’il était aussi ministre de la Jeunesse. Et on l’a vu arpenter les centres de vacances et de loisirs, faire du paddle, de l’escalade, du rafting, du canoë…

Mais, on sait bien aussi qu’en politique, les mauvais coups se font (souvent) pendant les vacances… Ainsi, un enseignant partant l’esprit serein en vacances en juillet aurait pu ne pas se rendre compte que les programmes de primaire et de collège ont été changés et publiés au Bulletin Officiel en plein mois de juillet. On parle d’« aménagements » mais dans plusieurs cas, cela n’est pas anecdotique, comme par exemple pour l’éducation morale et civique ou l’enseignement en cycle 2.

Le conseil supérieur des programmes (CSP) remanié et étroitement contrôlé par le cabinet du ministre n’a pas chômé puisque c’est aussi pendant l’été que les groupes d’experts pour les futurs programmes du lycée ont été nommés avec un calendrier délirant, puisqu’ils devaient rendre leurs copies à la mi-septembre. C’est d’ailleurs aussi pendant l’été qu’ont été publiés les horaires des futurs enseignements du lycée ainsi que du bac 2021.

On le sait, l’actualité politique a été très vive en juillet avec l’affaire Benalla. Et, de fait, cela a fait passer au second plan des rapports et autres informations qui risquent pourtant d’avoir un impact sur l’école et les conditions de travail des enseignants.

Tentons une énumération des principaux textes passés durant l’été et qui méritaient l’attention :

le rapport CAP 22 (dévoilé plus tôt qu’on ne le voulait) ;
le rapport de la Cour des comptes sur la formation des enseignants ;
le rapport sénatorial Brisson – Laborde sur le métier d’enseignant ;
le rapport du comité de suivi des ESPÉ (dirigé par le recteur Filâtre) ;
le rapport parlementaire sur les directeurs d’école.

Tous ces textes préfiguraient les principaux dossiers à l’agenda du ministre au cours de l’année.

Saison 2 – Episode 1 : un budget en trompe l’œil

Le premier épisode de la saison 2 a commencé avec le projet de loi de Finances pour 2019. Il s’agit d’un budget d’austérité. Même si le ministre a cherché à le présenter avec une certaine habileté, de manière positive, il n’en reste pas moins qu’il y a une belle entourloupe. En fait, le budget de l’éducation n’augmente pas (en volume) puisque la hausse est proportionnelle à l’inflation. Et surtout, cela se traduit par des baisses de postes (2 600) dans le secondaire. Le ministre a même reconnu à demi-mot au micro de France Inter que la réforme du lycée devait permettre de « rationaliser » l’offre de formation.

On ne peut pas lire les réformes actuelles et à venir sans le filtre de la contrainte budgétaire

Malgré les efforts de communication, cela signifie surtout qu’on ne peut pas lire les réformes actuelles et à venir sans le filtre de la contrainte budgétaire. En d’autres termes, derrière l’argument du « mieux » (d’école), il y a en fait la réalité du « moins ». Cela nous incite à la prudence sinon la méfiance vis-à-vis de toutes propositions ministérielles. Celles-ci sont aussi (avant tout ?) des façons d’économiser les moyens financiers et humains (les postes). C’est une des limites majeures de l’« école de la confiance » martelée par Jean-Michel Blanquer.

Saison 2 – Épisode 2 : la loi Blanquer qui ne disait pas son nom

L’épisode commence avec un cavalier qui surgit… du fond d’un cabinet ministériel. Au départ, il s’agissait d’une petite loi de rien du tout pour modifier le Code de l’Education et instituer la scolarisation obligatoire à trois ans. Mais Jean-Michel Blanquer utilise la vieille technique du « cavalier législatif » qui consiste à glisser (subrepticement) dans un texte d’autres dispositions importantes et sans rapport direct avec le projet de loi. Après avoir déclaré, il y a un an « il n’y aura pas de loi Blanquer et j’en serai fier » (congrès de la PEEP, 26 mai 2017), il se renie et propose un texte qui est loin d’être anodin. Il s’agit rien de moins que de donner le droit au gouvernement de prendre les mesures relatives au nouveau découpage territorial par ordonnances, de supprimer le Cnesco, d’autoriser « des travaux de recherche en matière pédagogique… dans des écoles et des établissements publics ou privés sous contrat » et enfin de changer la gouvernance des ESPÉ (qui changent de nom et deviennent des INSP) en faisant désigner les directeurs par le ministre et non plus par la procédure universitaire normale

Le ministre en a très peu parlé, il n’y a pas eu de concertation. Le texte a juste été présenté aux syndicats le 8 et au CSE le 15 octobre. Il devrait parvenir au parlement début 2019. D’ici là, d’autres réformes seront passées par décret, arrêtés et circulaires.

Reprenons les éléments de ce projet en commençant par la raison principale : la scolarité à trois ans (au lieu de six actuellement). Comme beaucoup l’ont rappelé, cette mesure est symbolique puisque le taux de scolarisation est de 97,6 % (chiffres de 2016). On peut y voir un progrès pour les plus fragiles, notamment en outre-mer, et une volonté de consolider la maternelle. Cela devrait entraîner la création d’environ 800 postes.

Cette mesure comporte quelques ambiguïtés. Jusque-là, c’était l’instruction qui était obligatoire, qu’elle soit faite à la maison ou en classe. Comment passer à une « obligation de scolarisation » ? L’autre ambiguïté, c’est que ce projet d’instruction à trois ans ouvre surtout la possibilité pour le « privé sous contrat » d’être assuré d’une obligation de financement par les communes (ce qui, à l’époque, en mars 2018, était dénié par Jean-Michel Blanquer).

La loi contraint aujourd’hui les communes à financer les écoles élémentaires privées à la même hauteur que les écoles publiques. Seules les communes qui ne versaient aucune aide aux écoles maternelles privées seront donc aidées financièrement, selon le projet de loi. Le gouvernement a prévu 40 millions d’euros pour cette compensation, là où le Réseau français des villes éducatrices (RFVE) estime qu’il faudrait de l’ordre de 150 millions d’euros.

Les autres mesures sont des annonces de ce qui va se jouer dans les prochains épisodes : la réforme de la formation initiale avec le changement de nom et de gouvernance des ESPÉ, la fin du Cnesco et la nouvelle conception de l’évaluation, le redécoupage.

Saison 2 – Épisode 3 : l’enterrement de l’école de la confiance

Le projet de loi portera pour nom « l’école de la confiance ». La confiance ne se décrète pas, elle se mérite et elle se construit ont répondu dans un communiqué commun, les membres du CSE qui ont majoritairement voté contre ce projet. On l’a compris, après une année de réponse aux rares promesses électorales, c’est l’heure des réformes structurelles. Or, celles-ci ne peuvent se faire que s’il y a un vrai travail de concertation. Comme le dit le proverbe « seul on avance plus vite, à plusieurs on avance plus loin ». Mais ce n’est pas le chemin qui semble être pris par un ministre et ses affidés qui semblent plutôt se méfier des enseignants et de leurs organisations représentatives.

Le Conseil supérieur des programmes n’est plus aujourd’hui qu’une chambre d’enregistrement paranoïaque, porteuse d’une idéologie très conservatrice

On est même dans une culture du secret. La présidente du Conseil supérieur des programmes a ainsi voulu organiser, fin septembre, des rencontres avec les associations disciplinaires et les organisations syndicales pour leur présenter les projets de programmes sans leur envoyer avant. Aucun document n’était communiqué durant les réunions où chacun prenait des notes tant bien que mal. Cela n’a pas été tenable longtemps et heureusement il y a eu des fuites. Depuis, on est même allé plus loin puisque les membres du CSP n’auront pas accès eux non plus aux textes avant la séance et devront rendre leurs documents à l’issue de la réunion. Cela témoigne du verrouillage de cette institution où les démissions des derniers membres datant de l’ancienne équipe se succèdent. Marie-Aleth Grard, la dernière démissionnaire, dénonce une impossibilité de dialoguer au sein de ce conseil. Et, de fait, le CSP n’est plus aujourd’hui qu’une chambre d’enregistrement paranoïaque, soumise à l’influence de certains lobbys et porteuse d’une idéologie très conservatrice. Les projets de programme qui circulent le montrent bien.

Si on rajoute l’annonce des réductions de postes au budget, on est bien loin aujourd’hui de l’« école de la confiance ». Sur ce point, pour les enseignants, le rideau de fumée semble se dissiper. On se retrouve face à une posture à la fois technocratique et politicienne. On utilise tous les artifices du jeu parlementaire et de la communication politique au service d’un projet élaboré solitairement dans le secret des cabinets et sans tenir compte des corps intermédiaires. La devise de Jean-Michel Blanquer semble être « Je pense donc tu suis »...

Saison 2- Épisode 4 : la réforme du lycée

En fait, ce dossier a déjà été ouvert puisque c’est au mois de février que le ministre a posé les bases de cette réforme et arbitré à partir du rapport Mathiot remis en janvier. Le ministère de l’Education nationale a publié le 16 juillet les décrets et arrêtés concernant le futur lycée et le bac 2021.

Face à la réforme du lycée, les inquiétudes sont nombreuses

Jusqu’à maintenant, grâce à une habile maîtrise du calendrier et des annonces, il y a eu peu de réactions syndicales. Mais les questions commencent à poindre dans les établissements à mesure qu’on rentre dans le détail de la réforme. Questions d’heures, de postes, d’effectifs, de périmètres des disciplines, problèmes d’organisation des épreuves, de formation des personnels, les inquiétudes sont nombreuses.

Si le « monument historique » du bac semble préservé, c’est la finalité même du lycée qui est transformée. Alors que jusque-là, on y mettait en avant la culture générale, il devient une antichambre du supérieur. « Bac-3 / Bac+3 » comme disent les technocrates du ministère. Il va falloir choisir des profils qui vont être déterminants pour la suite des études en lien avec ParcourSup.

Ceux-ci seront-ils plus variés ? Rien n’est moins sûr. La nature ayant horreur du vide, on peut craindre une reconstitution des filières d’excellence par d’autres biais. On se retrouve en fait face à une contradiction : d’un côté, il est affirmé que le choix des spécialités est de la prérogative des élèves et familles (bien sûr on conseille…) et de l’autre, il y a clairement dans l’idée d’augmenter les effectifs, ce qui n’est possible qu’en contraignant largement les choix.

Le lycée nouveau va aussi être marqué par l’« évaluationnite ». Le mélange entre contrôle continu et épreuves terminales (plus tôt dans l’année) risque d’aboutir à une évaluation permanente où chaque note compte pour l’orientation. Bien loin d’une évaluation formative au service des apprentissages. Et quand on rentre dans le détail de l’organisation, on s’aperçoit que cette réforme supposée simplifier et « muscler » le bac aboutit à des dispositifs tout aussi complexes et improvisés. Le « monument historique » se transforme en usine à gaz…

Pourquoi une telle précipitation ? La réponse est simple : parce que 2021 est juste avant 2022 ! Le calendrier des réformes est dicté par les échéances électorales. Et cela se fait au mépris du temps de concertation et d’appropriation d’une réforme.

Saison 2 - Épisode 5 : les programmes à marche forcée

On a évoqué plus haut le fonctionnement du Conseil supérieur des programmes et de sa présidente Souâd Ayada. Mais le Conseil scientifique est aussi partie prenante dans les programmes. C’est le cas notamment pour les programmes du cycle 2 (CP, CE1, CE2) où les recommandations/injonctions de ce conseil sont très présentes, notamment sur l’apprentissage de la lecture avec la publication de vade-mecum destiné à encadrer les pratiques des enseignants. Présentés jeudi 13 juillet lors du Conseil supérieur de l’éducation, les ajustements des programmes des cycles 2 à 4, prévus pour une application à la rentrée 2018, ont provoqué l’ire des syndicats : de nombreuses organisations ont préféré quitter la séance. Imaginons un enseignant du primaire qui part en vacances en essayant de faire le vide et qui revient juste avant la rentrée. Il aurait pu louper des modifications qui sont plus que de simples aménagements !

Les programmes restent pléthoriques et encyclopédiques. On peut aussi avoir des craintes sur la dénaturation de certaines disciplines

Durant les vacances, c’est aussi le moment où ont été désignés les « experts » chargés d’élaborer les programmes du nouveau lycée. Ils ont dû travailler durant l’été pour élaborer des programmes qui sont en ce moment présentés dans les conditions que l’on sait (voir plus haut). On peut s’étonner de la brièveté du temps imparti. Comment, dans ces conditions, faire du bon travail ? Comment penser les connexions entre les disciplines et surtout qui s’interrogera sur les modalités d’évaluation terminales alors que l’on sait combien la pédagogie en amont est déterminée par l’évaluation en aval…

Ce qui ressort aussi des travaux des groupes d’experts, c’est que les programmes restent pléthoriques et encyclopédiques. On peut aussi avoir des craintes sur la dénaturation de certaines disciplines. Nous consacrerons prochainement un article spécifique aux programmes de sciences économiques et sociales, bien malmenés par cette réforme.

Saison 2-Épisode 6 : la formation des enseignants

L’autre gros chantier de l’année, c’est la réforme de la formation des enseignants. Plusieurs textes parus ces derniers mois sont venus préparer le terrain et, de fait, soutenir l’action à venir de Jean-Michel Blanquer. C’est d’abord un rapport de la Cour des comptes fort opportun qui estime que la formation est peu efficace et préconise une réduction du nombre des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPÉ).

Le rapport remis en juillet par Daniel Filâtre, recteur de l’académie de Versailles pour encore quelques jours, préconisait des formations et parcours distincts entre premier et second degré pour mieux répondre aux attentes des écoles et plus individualisées pour tenir compte des parcours divers des étudiants, alternant stages et cours, en renforçant les disciplines fondamentales, notamment les maths.

Depuis, le ministre a précisé ses intentions. Au-delà du changement de nom (les ESPÉ deviendraient les Instituts nationaux supérieurs du professorat comme le prévoit le projet de loi), il y a la volonté de « reprendre la main » sur la formation initiale. Il n’y aurait plus qu’un INSP par rectorat, eux-mêmes réduits au nombre de régions, avec des directeurs nommés par le ministre. Le projet qui semble se dessiner serait celui d’une déconnexion entre l’admissibilité du concours (en fin de Licence) et l’admission (en fin de M2). Durant cette période, les candidats ne seraient plus « stagiaires » avec le salaire correspondant, mais rémunérés comme des apprentis pour un temps de stage en classe variable en M1 ou M2. La formation serait assurée essentiellement par des universitaires et des intervenants du « terrain », ce qui évidemment remet en question les personnels actuels des ESPÉ et la nature de la formation.

Ce sont 22 000 postes budgétaires de fonctionnaires qu’on peut récupérer en réformant la formation et la place du concours

Là encore, on peut lire ce projet avec le prisme de la logique comptable. Ces changements conduiraient à supprimer de nombreuses heures postes. Ce sont 22 000 postes budgétaires de fonctionnaires et donc 11 000 équivalents temps plein (ETP) qu’on peut récupérer en réformant la formation et la place du concours. La fusion des ESPÉ conduirait aussi à la disparation de nombreux postes de formateurs.

Comme souvent en France, on réforme sans faire le bilan. On n’a pas fait un réel bilan des IUFM avant qu’ils disparaissent et on peut penser qu’il en sera de même pour les ESPÉ. Là aussi, nous essaierons de faire le point dans un prochain article sur ce dossier qui risque d’avancer très vite et dans l’indifférence générale de l’opinion publique et des autres enseignants.

Saison 2-Épisode 7 : la gouvernance

« Rue de Grenelle, les signes d’une gouvernance dirigiste et autoritaire s’accumulent », ce n’est pas moi qui le dit, mais Lucien Marboeuf, un professeur des écoles qui tient un blog tout à fait excellent. Il montre mieux que je ne pourrais le dire comment le ministère est en passe de concentrer tous les pouvoirs, éliminant la contradiction et court-circuitant les corps intermédiaires, afin d’appliquer une politique ultra-verticale.

Jean-Michel Blanquer est souvent montré en exemple au sein du gouvernement. Et il est vrai qu’on peut le qualifier de plus macronien des macroniens : même pratique très verticale du pouvoir, combinée à une sorte d’assurance technocratique de celui qui sait mieux que les autres, une vraie difficulté à entendre et gérer la contradiction…

On souligne aussi sa bonne connaissance du système. Avant cette loi Blanquer, qui remet en cause sa promesse, il a pu s’en passer pour avancer essentiellement à coup de circulaires et de directives adressées aux échelons intermédiaires qu’il cajole et contrôle. Pour faire bouger les pratiques dans les circonscriptions ou les académies, un séminaire d’inspecteurs ou de chefs d’établissement est encore plus efficace que mille circulaires. Et comme la commande est claire et directe, les cadres dont bien obligés de suivre. Ce qui ne veut pas dire qu’ils adhèrent, mais quand le ministre donne des consignes explicites, il faut bien les suivre. On ne peut donc pas dire que Blanquer souffre de l’inertie du système. Au contraire, il connaît très bien les leviers pour la contourner.

Sans jouer les prophètes on peut prédire que l’ajustement des structures de l’éducation nationale sur celles des régions (13 régions académiques) va se traduire également par un pouvoir central renforcé. La réduction du nombre d’académies et la création de « super-recteurs » (qui ne sont plus forcément des universitaires) ne vont pas forcément dans le sens de l’autonomie et de la décentralisation.

La disparition du Cnesco prévue dans le projet de loi est aussi une belle illustration de ce renforcement du pouvoir

La disparition du Conseil national de l’évaluation du système scolaire (Cnesco) prévue dans le projet de loi est aussi une belle illustration de ce renforcement du pouvoir. Cette instance d’évaluation composée d’experts indépendants a été créée, tout comme le CSP, par la loi de refondation de 2013 (il parait d’ailleurs que l’expression « loi de refondation » est interdite rue de Grenelle). Cette institution a fourni un travail remarquable d’analyse des politiques éducatives et de contribution au débat public, notamment avec plusieurs conférences de consensus. Le député PS Régis Juanico et sa collègue LREM Marie Tamarelle-Verhaege, fin septembre, dans leur « rapport sur l’organisation de la fonction d’évaluation du système éducatif », demandaient que l’on étende les missions de cette « instance productive, indépendante et transparente ». Pourtant, Jean-Michel Blanquer veut la remplacer par un « Conseil d’évaluation de l’école » (CEE), composé de parlementaires et d’une majorité de personnes nommées directement par le ministre. Le nouveau conseil ne pourra plus s’auto-saisir, et devra faire valider son programme de travail par le ministre. Il devra en outre se contenter d’« établir une synthèse des différents travaux d’évaluation », et « veiller à leur cohérence », au lieu de produire ses propres évaluations. Comme le dit plaisamment un article récent de Libération : « Jean-Michel Blanquer adore les évaluations… mais pas pour lui ».

Saison 2-Épisode 8 : évaluationnite

Car le ministre veut développer une « culture de l’évaluation », il en veut partout et tout le temps… Nous sommes rentrés dans l’ère de l’« accountability ».

Cette évaluation concerne évidemment les élèves à travers la généralisation des tests de positionnement. Mais ces tests peuvent aussi servir à évaluer les établissements afin de les « responsabiliser » et d’orienter leurs décisions avec des contrats d’objectifs. Ce transfert est aussi le moyen de faire porter le chapeau des décisions difficiles, comme par exemple supprimer des options dans un lycée. Dans un article paru dans Médiapart, le journaliste Romaric Godin qualifie ainsi le « managérialisme macronien » qui ressort du rapport CAP22 : « Il s’agit avant tout de caler la gestion des services publics sur la gestion privée, de privatiser non pas la propriété, mais les pratiques. » « C’est des réformes que naîtront les économies et non l’inverse », affirme-t-on page 22 du rapport CAP22. Puis, à la page suivante, on apprend que « si l’on veut que notre secteur public puisse se réformer, il faut le rendre plus souple, plus adaptable, plus lisible ».

Dans ce cadre néo-libéral, l’évaluation des établissements paraît logique. Mais cela peut s’étendre aussi aux enseignants dont le statut et les missions peuvent être transformés.

Saison 2-Épisode 9 : le métier enseignant

Durant l’été, a été publié le rapport Brisson-Laborde. Ces deux sénateurs (par ailleurs enseignante et IG) préconisaient entre autres d’augmenter le nombre d’heures supplémentaires des enseignants du second degré et d’annualiser leurs obligations de service. Le rapport CAP22 faisait lui aussi des propositions dont la plus originale (et non retenue) était de créer un corps de professeurs bivalents et avec une charge horaire plus importante. Et le 2 août, le gouvernement en reprenait certaines. On retrouve notre accountability puisque ces projets vont dans le sens de l’individualisation et de la performance. S’appuyant sur ce qui se passe dans l’éducation prioritaire, le gouvernement envisage une part variable dans le salaire « prenant en compte les projets d’établissement et les progrès des élèves ». On évoque aussi la possibilité d’un recrutement sur des « postes à profil » par des chefs d’établissement aux compétences managériales étendues.

Des menaces existent sur le statut de fonctionnaire et plus précisément celui des enseignants

On peut peut-être faire rentrer aussi dans cette logique le rapport des députées Valérie Bazin Malgras (LR) et Cécile Rilhac (LREM) qui propose de créer un véritable statut de directeur d’école leur donnant une place hiérarchique.

On notera aussi que dans une version non publiée, le fameux rapport CAP22 proposait d’augmenter la proportion de contractuels dans l’éducation nationale. Celui-ci est déjà autour de 20 %…

On le voit, les menaces existent sur le statut de fonctionnaire et plus précisément celui des enseignants. Ce n’est pas non plus une surprise. On trouvait déjà ces projets dans les livres de Blanquer. Et Emmanuel Macron, durant la campagne, s’était prononcé pour un recrutement des enseignants par les chefs d’établissements.

Saison 2-Épisode 10 : défis et difficultés

Faire de la prospective quand tout est déjà écrit et lisible est relativement facile. Mais les belles stratégies peuvent aussi se heurter à des écueils et des difficultés. Même si celles-ci sont imprévisibles. Jusque-là, Jean-Michel Blanquer a avancé ses pions et déroulé sa tactique sans trop de difficultés. Il n’a pas eu à subir de grèves et de manifestations notables. Les enseignants étaient soit favorables soit dans une sorte de sidération. Mais quelques éléments peuvent enrayer cette belle mécanique. Ils peuvent être internes et externes.

« On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens » (Cardinal de Retz). Peut-être le rideau de fumée est-il en train de se dissiper ? Le discours sur « l’école de la confiance » semble aujourd’hui peu convaincant face à l’autoritarisme et la méfiance vis-à-vis des enseignants. De même, les contraintes budgétaires risquent notamment dans le secondaire de rendre moins faciles encore les conditions de travail. Les failles et l’impréparation de la réforme du lycée ainsi que du dispositif ParcourSup jettent le doute sur l’expertise du pouvoir.

On voit bien d’ailleurs que Jean-Michel Blanquer joue très peu sur l’adhésion des enseignants à ses réformes. Il vise plutôt les cadres intermédiaires et surtout l’opinion publique pour contourner d’éventuelles résistances. Le contexte des élections professionnelles à la fin de l’année 2018 risque aussi d’attiser des tensions et des clivages et conduire à de la surenchère dans les revendications et dans l’action.

Mais le risque le plus grand ne vient pas, selon moi, des aspects pédagogiques ou éducatifs (et je le regrette) mais des aspects économiques. Les enseignants voient comme d’autres leur pouvoir d’achat reculer. Ils souffrent d’un profond sentiment de déclassement qui a aussi des répercussions sur le recrutement. La réforme des retraites, telle qu’elle est présentée, risque aussi, probablement de dégrader leur situation. Tous ces éléments peuvent contribuer à une remise en question de la politique du gouvernement et donc de l’action menée par Jean-Michel Blanquer. Y aura-t-il une saison 3 ?

Cette saison 2 pourrait s’inspirer de plusieurs séries : « le bureau des légendes » (pour l’abus de communication), « Black Mirror » (pour l’évaluationnite), « Les revenants » (pour le retour du cabinet Darcos), « Baron Noir » (pour les coups tordus), « Orgueil et préjugés » (on se demande pourquoi…). Espérons que ce ne soit pas aussi « Breaking Bad »…

Philippe Watrelot est enseignant, ancien président du CRAP-Cahiers Pédagogiques