Neurosciences : comment le cerveau apprend ?

dimanche 10 février 2019


Grande figure de la discipline, le chercheur Olivier Houdé s’élève contre l’instrumentalisation des sciences du cerveau par Jean-Michel Blanquer et son conseiller Stanislas Dehaene.
Gurvan Le Guellec, publié le 01 février 2019 in L’obs.

Olivier Houdé, professeur de psychologie du développement à l’université Paris-Descartes, est l’une des grandes figures des neurosciences en France. Contrairement à son collègue Stanislas Dehaene, qui préside le Conseil scientifique de l’Education nationale (CSEN), il s’est tenu à l’écart des projets de « gouvernement piloté par la science » portés par le ministre Jean-Michel Blanquer. Il s’en explique en exclusivité à « l’Obs », dénonçant une instrumentalisation dangereuse de sa discipline. Et s’en prenant de facto aux fondements théoriques de la politique gouvernementale.

Jean-Michel Blanquer souhaite transformer les pratiques enseignantes, à commencer par l’apprentissage de la lecture, en s’appuyant sur la science et tout particulièrement les neurosciences. Pourquoi avez-vous refusé de rejoindre le CSEN mis en place il y a un an pour aiguiller la politique du ministère ?

Car c’est un simulacre. Je suis en bons termes avec le ministre. Il m’a d’ailleurs décoré il y a peu, ici même en Sorbonne, du grade d’officier des palmes académiques. A lire sur l’obs.

De même, un artocle de la revue Sciences et vie, « 8 expériences qui révèlent les mécanismes de l’apprentissage » par PIERRE-YVES BOCQUET - ILLUSTRATIONS : MAXIME GÉ, POUR SCIENCE & VIE HORS-SÉRIE Le 02 mars 2017 mis à jour 19 nov 2018 montre comment est le Cerveau en rapport avec l’intelligence : comment le cerveau apprend ?

Qu’ils aient recours aux techniques d’imagerie les plus sophistiquées ou à de subtils tests psychologiques, les expérimentateurs ont réussi à pénétrer à l’intérieur du cerveau humain pour comprendre comment il apprend.

L’APPRENTISSAGE DENSIFIE LA MATIÈRE GRISE

Les volontaires de l’expérience ont subi une première IRM (To) au préalable, puis une seconde (T1) après avoir appris à très bien jongler, et enfin une dernière (T2) trois mois après avoir cessé cette activité. Résultat : certaines zones avaient grossi avec l’apprentissage, avant de régresser.

1. L’apprentissage modifie la structure du cerveau

« Pendant longtemps, nous avons cru que le cerveau se développait durant la grossesse et la petite enfance, mais demeurait relativement stable par la suite, explique Steve Masson, directeur du laboratoire de recherches en neuro-éducation de l’université du Québec, à Montréal. Puis vint une découverte majeure : l’apprentissage modifie l’architecture du cerveau. Les connexions entre les neurones peuvent se faire, se défaire, se renforcer ou s’affaiblir. Le cerveau est donc un organe dynamique, dont l’architecture cérébrale évolue à chaque instant, pour s’adapter à son environnement. » Le premier jalon majeur de la découverte de cette « plasticité » cérébrale est à mettre au crédit du neuropsychologue canadien Donald Hebb, en 1949, lequel a donné son nom à une règle essentielle qui sous-tend les mécanismes de l’apprentissage : plus une connexion synaptique est sollicitée, plus elle est renforcée. Cette « potentialisation à long terme », comme on l’appelle aussi, est l’un des principes de base de la plasticité. Mais il n’est pas le seul.

Car l’apprentissage ne fait pas que reconfigurer les connexions. Il joue aussi sur l’anatomie des neurones et leur densité, au point qu’il est possible de visualiser les conséquences d’un apprentissage à l’imagerie cérébrale !

L’expérience des jongleurs

Une équipe de chercheurs de l’université de Ratisbonne (Allemagne) s’est intéressée en 2004 à l’impact de l’apprentissage sur la structure macroscopique du cerveau, et particulièrement sur la matière grise. La matière grise ? Il s’agit de la partie externe du cerveau (le cortex), majoritairement constituée des dendrites et des corps cellulaires (contenant les noyaux) des neurones.

La matière blanche, située sous le cortex, étant elle principalement composée des axones : des prolongements qui permettent aux neurones de se connecter entre eux et qui sont recouverts de myéline, graisse qui leur donne une apparence blanchâtre.

Sachant que l’apprentissage modifie par nature la matière blanche, ils se sont demandés si c’était aussi le cas pour la matière grise. Autrement dit, si l’apprentissage avait un impact structurel plus profond.

Pour tester cette hypothèse, ils ont formé deux groupes d’individus âgés d’environ 22 ans, n’ayant jamais pratiqué le jonglage. Avant le début de l’expérience, tous ont passé un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) de l’ensemble de leur cerveau.

Les membres du premier groupe ont ensuite été invités à apprendre à jongler avec trois balles pendant trois mois. Et ils ont repassé une IRM lorsqu’ils étaient considérés comme experts selon les critères de l’expérience, c’est-à-dire capables de jongler pendant plus de 60 secondes sans faire tomber leurs balles. Passé cet examen, on leur a interdit de jongler pendant les trois mois suivants (de manière à ce qu’ils perdent leur expertise), période à l’issue de laquelle ils ont passé une troisième IRM. Le second groupe n’a, quant à lui, jamais pratiqué le jonglage, faisant office de groupe témoin.

À chaque étape de l’expérience, les chercheurs ont comparé l’évolution précise de la matière grise et de la matière blanche des participants.

Résultat : alors que les cerveaux étaient initialement comparables, celui des jongleurs se démarque à l’issue de l’apprentissage par une expansion bilatérale de la matière grise dans le lobe temporal et dans le sillon intrapariétal postérieur gauche, des régions associées au traitement et à la mémorisation de mouvements visuels complexes. Une expansion qui diminue à l’occasion du 3e examen.

Conclusion : « Ces résultats contredisent le postulat traditionnel selon lequel la structure anatomique du cerveau humain adulte ne varie pas, à l’exception des modifications morphologiques liées à l’âge ou à des pathologies. La plasticité du cortex induite par l’apprentissage se traduit aussi au niveau structurel. »

Quelles sont les origines de cette transformation ? « Lorsque de nouvelles connexions se créent, les dendrites peuvent modifier leur longueur et donc leur densité, ce qui provoque une augmentation de la densité de la matière grise dans la région du cerveau concernée », résume Steve Masson.

L’apprentissage et l’entraînement intensif modifient bien le cerveau en profondeur. Mais comme le montre le recul visualisé à la 3e IRM, ce processus est en partie réversible si l’apprentissage n’est pas entretenu.

Depuis, de nombreuses études ont confirmé cette découverte, et montré que la pratique intensive d’une activité spécifique façonne effectivement les structures cérébrales engagées. Chez les chauffeurs de taxis, par exemple, l’hippocampe (impliqué dans la localisation spatiale) augmente de volume, tandis que chez les musiciens, ce sont les aires sensorimotrices et le cortex auditif qui s’épaississent.

Draganski et al., Changes in Grey Matter Induced by Training, Nature, 2004.
8 expériences qui révèlent les mécanismes de l’apprentissage
© M. GÉ - M. SAEMANN - M. KONTENTE

2. Le cerveau est « précâblé » pour apprendre certaines notions

C’est l’un des principaux héritages de l’évolution : le cerveau s’avère, dès la naissance, capable de réaliser certaines tâches, avant même d’y avoir été confronté. Ainsi, des connexions commencent à s’établir avec l’œil avant même que la vision soit effective.

« Le cerveau met en place des circuits, avec une explosion massive de la création de synapses du fœtus jusqu’à l’âge de 2 ans.

Cette création suit un programme génétique préétabli qui prépare le cerveau à accomplir certaines tâches comme marcher, courir, parler… » , explique Daniel Choquet, responsable de l’équipe Dynamique de l’organisation et des fonctions synaptiques (CNRS), à Bordeaux. C’est ensuite son environnement et ses expériences qui façonneront progressivement cette base neuronale innée.

L’expérience du calcul chez les bébés

Dès les années 1950, des chercheurs ont montré que certains animaux sont capables de manipuler des grandeurs numériques. Un atout précieux pour la survie d’une espèce, quand il s’agit de dénombrer des prédateurs à affronter ou des proies à chasser. Plus frappant encore, ces réseaux de neurones sont opérationnels chez les très jeunes humains ! Dès 1992, une étude de Karen Wynn, alors à l’université de l’Arizona, démontre à l’aide de poupées que des bébés de 5 mois sont capables de distinguer si le résultat d’une opération simple (1 poupée + 1 poupée = 2 poupées) est correct ou non. Dans les années 2000, avec l’apport de l’imagerie cérébrale, plusieurs études mettent en évidence que ce « sens du nombre » est associé à l’activation, chez l’homme et l’animal, d’une même zone du sillon intrapariétal.

Une étude de l’université Yale publiée en 2004 a montré que des enfants âgés de 9 mois peuvent même traiter des valeurs bien plus grandes (jusqu’à 10) et les manipuler pour effectuer des additions et des soustractions, sans avoir bénéficié du moindre apprentissage !

L’expérience a consisté à demander à 26 enfants de 9 mois de regarder des vidéos mettant en scène des objets de formes variées : rectangles, ronds, carrés… Dans la première, 5 objets apparaissent et se déplacent vers la moitié droite de l’écran, où ils sont recouverts (et donc cachés du regard) par un rectangle blanc. Ils sont ensuite rejoints sous le rectangle par 5 autres objets apparus sur la gauche de l’écran. Une situation simulant l’addition 5 + 5 dont le résultat, dissimulé par le rectangle blanc, est d’abord invisible. Le rectangle est ensuite retiré, laissant apparaître soit, pour un premier groupe d’enfants, un résultat cohérent (10 objets), soit un résultat clairement erroné (5 objets). L’enfant perçoit-il l’erreur ? Le résultat est sans appel, d’après la mesure des durées d’observation réalisée par un chercheur dissimulé derrière un rideau : l’attention des enfants est sensiblement différente selon que le résultat est correct ou non. Ils regardent en moyenne l’écran pendant 7,35 secondes quand le résultat présenté est exact, mais pendant 10,28 secondes (+ 40 % !) quand il est incohérent. Le même type d’écart a été mis en évidence avec la soustraction : 10 objets sont cachés sous le rectangle, 5 en ressortent, et deux résultats sont présentés une fois le rectangle ôté : 5 (correct) et 10 (faux). Conclusion : les humains possèdent dès l’âge de 9 mois - avant même le développement du langage ! - un système cérébral qui leur permet le traitement et la combinaison de grandeurs numériques élevées. Une base neuronale héritée de l’évolution, sur laquelle ils s’appuieront ensuite - et qu’ils développeront - lors de l’apprentissage de notions de plus en plus complexes, à la base de l’arithmétique et des mathématiques.

McCrink, Wynn, Large-Number Addition and Subtraction by 9-Month-Old Infants,

DÈS 9 MOIS, LES BÉBÉS ONT LE SENS DES MATHS !

Deux bébés sont invités à regarder une vidéo montrant 5 objets disparaissant derrière un cache. rejoints par 5 autres. Puis le cache est retiré, révélant soit 5 objets, soit 10. Résultat : le bébé qui découvre 5 objets fixe l’écran plus longtemps. Ce sens du nombre serait encodé dans le sillon intrapariétal.

3. Certains apprentissages nécessitent un « recyclage » neuronal

Dès la naissance, le cerveau est globalement organisé en aires fonctionnelles, des régions dédiées à des tâches, comme l’aire de Broca pour le langage, ou le sillon intrapariétal pour le sens du nombre. Mais certaines activités dites culturelles sont apparues trop récemment dans l’histoire de l’humanité pour que l’évolution ait pu génétiquement programmer la fabrication de réseaux neuronaux spécialisés et opérationnels dès la naissance. Ainsi, lorsqu’on apprend à lire, à manier un club de golf ou à tâter du trombone à coulisse, le cerveau doit « recycler » des neurones initialement dédiés à des fonctions proches. Un exemple emblématique de la plasticité dont il fait preuve pendant un apprentissage, mais aussi des limites de celle-ci, car cela induit que les possibilités du cerveau ne sont pas infinies et que certaines fonctions peuvent entrer en compétition au niveau neuronal.

L’expérience de la lecture

La notion de recyclage neuronal, énoncée en 2007 par le psychologue cognitif Stanislas Dehaene, est basée sur l’observation, à l’imagerie cérébrale, que l’apprentissage de la lecture entraîne la sollicitation et la modification de plusieurs zones du cerveau.

Dont la région occipito-temporale gauche, qui se spécialise pour traiter la langue écrite, d’où son nom de « région de la forme visuelle des mots ». Or, cette zone est aussi connue pour être très tôt impliquée dans la reconnaissance visuelle des objets et des visages.

Pour comprendre comment l’apprentissage de la lecture s’y installe progressivement, son équipe a formé en 2010 trois groupes d’adultes de langue portugaise selon leur degré d’acquisition de la lecture : le premier comprenait 31 adultes alphabétisés depuis l’enfance, le deuxième, 32 personnes n’ayant appris à lire qu’à l’âge adulte, et enfin le troisième, 10 adultes complètement illettrés. Les participants passaient ensuite, individuellement, un examen d’imagerie cérébrale pendant qu’ils étaient exposés à des stimuli : en l’occurrence, des mots écrits en portugais ou des images d’objets.

Sans surprise, la comparaison des zones activées selon le niveau de lecture a mis en évidence que chez les analphabètes, l’aire visuelle de l’hémisphère gauche n’est pas (ou faiblement) activée, alors qu’elle l’est fortement chez les lecteurs experts.

Soupçonnant que la lecture recycle des réseaux de neurones initialement dédiés à la reconnaissance des formes, des objets et des visages, les chercheurs ont alors cherché à savoir si ces activités entraient en compétition. Autrement dit, si l’amélioration de l’expertise en lecture s’accompagnait d’une baisse des performances pour cet autre type de tâche. Ils ont ainsi constaté que chez les experts en lecture, la réponse neuronale de cette même région de l’hémisphère gauche a effectivement tendance à décroître légèrement à la vue d’un damier, et d’images de maisons et d’outils. Et même qu’elle diminue sensiblement à la vue de visages.

« La compétition neuronale se traduit par une réorganisation cérébrale, mais pas par une baisse de performances, précise Sylviane Valdois, directrice de recherche CNRS au laboratoire de Psychologie et de Neuro cognition de l’université Pierre-Mendès-France, à Grenoble. Au fur et à mesure de l’apprentissage de la lecture, la région occipito-temporale gauche, de plus en plus sollicitée pour lire, est de moins en moins utilisée pour la reconnaissance faciale, mais le traitement de celle-ci se reporte progressivement sur une zone similaire de l’hémisphère droit. »

Autrement dit, le cortex visuel se réorganise : il réquisitionne pour la lecture des neurones spécialisés dans la reconnaissance des visages et reporte une partie de cette fonction dans d’autres régions. Un recyclage d’autant plus pertinent que la zone réquisitionnée pour la lecture est proche de réseaux neuronaux liés à l’audition et à la prononciation des mots, également sollicités pour la lecture.

Ce mécanisme explique aussi pourquoi il est si difficile, dans les premiers temps de la lecture, de distinguer le p du q, ou le d du b : les neurones réquisitionnés ne sont initialement pas « programmés » pour différencier un visage ou un objet selon son profil droit ou gauche. Un p n’est jamais qu’un q vu dans un miroir. Un automatisme inné que l’apprentissage et la pratique de la lecture permettent progressivement de contrer

LA LECTURE CHANGE LA FONCTION DE CERTAINS NEURONES

Lorsque l’on soumet des sujets diversement lettrés à des phrases écrites, on remarque que les plus lettrés (en bleu foncé) activent d’avantage cette aire visuelle du cortex gauche que les illettrés (en beige). En revanche, soumis à des visages, ce sont les illettrés qui activent d’avantage cette même aire.

4. Tester ses connaissances permet de mieux les retenir

L’apprentissage a longtemps été vu comme lié à l’étude (lire ou écouter un cours puis le réviser), et les tests, comme un moyen de mesurer l’efficacité de cet apprentissage. Mais l’activité de restituer (se souvenir des acquis lors d’un test) n’est pas neutre et participe en fait activement à la consolidation des apprentissages. Elle est parfois même plus efficace que l’étude elle-même !

Pourquoi ? Parce que la révision est une démarche passive, alors que la restitution des savoirs nécessite un engagement, bénéfique pour le renforcement des connexions neuronales. « S’il n’est pas engagé, le cerveau ne s’active pas et, s’il ne s’active pas, il n’apprend pas.

Demander aux élèves de récupérer en mémoire à de nombreuses reprises, c’est leur demander d’activer de façon répétée les réseaux de neurones liés au contenu à récupérer.

Et cela est nécessaire à la mémorisation », juge Steve Masson, professeur en neuroéducation à l’université du Québec.

L’expérience de la langue étrangère

L’expérience publiée en 2008 par les chercheurs américains Jeffrey Karpicke et Henry Roediger est l’une des premières à avoir mis en évidence l’efficacité de la restitution. Il s’agissait de comparer la révision classique (lecture répétée) et celle associée à des tests, chez des étudiants américains apprenant des mots de swahili. Premier constat : de prime abord, les deux méthodes s’avèrent équivalentes sur l’efficacité et la rapidité d’apprentissage de 40 mots. Mais elles diffèrent sur la durée. « Les résultats montrent que les tests, et pas les révisions, sont le facteur déterminant pour la mémorisation à long terme » , résument les chercheurs. Les chiffres sont éloquents : enchaîner les révisions seules ne produit aucun progrès mesurable dans la mémorisation une semaine après. Les étudiants ayant associé révisions et tests répétés se sont remémoré en moyenne 80 % (de 63 à 95 %) de mots, alors que ceux qui n’ont fait que réviser n’en ont retenu que 35 % en moyenne (de 10 à 60 %). Autrement dit, pour retenir à long terme, mieux vaut passer moins de temps à relire ses notes au profit de tests réguliers. Une règle qui peine à s’imposer : l’expérience a en effet mis en évidence que les étudiants n’avaient pas une bonne perception de ces différences, et que ceux qui avaient suivi les méthodes orientées vers les révisions surestimaient largement leurs pronostics de bonnes réponses aux tests.

5. Le sommeil joue un rôle actif dans la mémorisation

Dès 1885, le philosophe allemand Hermann Ebbinghaus avait observé, à son insu, le rôle actif du sommeil dans la consolidation des apprentissages. S’intéressant à l’oubli d’informations après différents délais, il avait noté des incongruités : 24 h après l’apprentissage d’une liste de mots, l’oubli était moins sévère que ce que les mesures pour des plus courtes durées laissaient escompter. Il n’avait pas compris que c’est le sommeil qui était venu perturber la belle linéarité des mesures, en favorisant la mémorisation. On sait désormais à quel point son rôle est important, même s’il reste mal décrypté. Selon la théorie dominante, l’hippocampe profiterait de l’absence de stimuli pour réactiver les souvenirs.

« Il semble que la mémoire est d’abord stockée dans l’hippocampe pour une durée maximale d’une quinzaine de jours, et que celui-ci transfère ensuite les données dans différentes parties du cortex » , résume Daniel Choquet, directeur de recherche au CNRS. Ce traitement nocturne participerait ainsi à la consolidation synaptique, notamment durant le sommeil paradoxal.

L’expérience de la liste de syllabes à mémoriser

La première expérience marquante démontrant l’impact du sommeil sur l’efficacité de la mémorisation a été imaginée en 1923 par John Jenkins et Karl Dallenbach, de la Cornell University. Deux étudiants (ignorant à quel type d’expérience ils participaient) devaient mémoriser des syllabes sans sens particulier. Une fois apprise, la liste était testée après des intervalles de veille ou de sommeil de 1 h, 2 h, 4 h et 8 h. L’expérience fut répétée à différentes heures du jour et de la nuit pendant 7 semaines consécutives.

Résultat : les étudiants se rappelaient environ 2 fois plus de syllabes lorsqu’ils dormaient après l’apprentissage, que lorsqu’ils restaient éveillés autant de temps.

Plus récemment, d’autres études ont montré que la mémorisation est également renforcée lorsque le cerveau est stimulé par des ondes de même fréquence que celles observées pendant le sommeil lent, validant là aussi l’hypothèse d’un rôle actif du sommeil dans les processus mnésiques. Un rôle qui explique également en partie pourquoi l’espacement des apprentissages favorise la mémorisation. Il vaut mieux étudier 4 h deux jours de suite que 8 h d’affilée.

6. Apprendre, c’est parfois aller contre ses intuitions

La plupart des apprentissages sont basés sur l’acquisition d’automatismes, ce qui se traduit par la création et le renforcement de connexions neuronales. Mais, dans certains cas, il faut réprimer des automatismes pour effectuer une tâche avec succès !

Ce phénomène d’inhibition a été mis en évidence en 2000 par Olivier Houdé, professeur de psychologie à l’université Paris-Descartes. Son expérience consistait à présenter à des enfants deux rangées d’un même nombre d’objets, dont il faisait varier la longueur en espaçant les objets.

Lorsque les deux rangées ont la même taille, les enfants estiment qu’elles contiennent le même nombre d’items. Mais lorsque la longueur d’une rangée augmente, les enfants de moins de 7 ans ont tendance à penser que celle-ci contient plus d’objets. « Leur cerveau se trompe, car il a été habitué dans de nombreuses situations à établir une corrélation entre longueur et quantité. Ce qui est une stratégie souvent très efficace, mais pas toujours, en tout cas pas ici » , commente le chercheur.

Autre exemple : lorsque l’on demande à des personnes d’écrire « je les porte » alors qu’elles sont en situation d’interférences (perturbées dans leur concentration), même celles qui ont un très bon niveau de français écrivent « je les portes ». Leur cerveau applique l’automatisme « les = pluriel = s ».

Pour donner la bonne réponse, il doit mettre en œuvre un mécanisme d’inhibition court-circuitant l’automatisme. Grâce à l’imagerie (IRMf), Olivier Houdé a révélé que l’inhibition se traduit par l’activation de régions spécifiques situées dans le cortex préfrontal.

« Le cortex préfrontal dispose d’axones très longs, qui peuvent envoyer des messages activateurs ou inhibiteurs dans l’ensemble du cerveau. D’où un déplacement de l’activité cérébrale de l’arrière vers l’avant du cerveau pendant l’inhibition », détaille le chercheur.

Ce mécanisme prouve aussi que le cerveau ne fonctionne pas comme une ardoise : les conceptions erronées ne sont pas effacées et remplacées par les bonnes après un apprentissage. Elles perdurent, mais sont désactivées au besoin. « C’est un mécanisme performant, souligne Olivier Houdé, car il n’efface pas un automatisme définitivement : il agit au cas par cas. Il faut juste apprendre à inhiber et à automatiser cette inhibition. »

L’expérience des circuits électriques

Pour mettre en évidence les mécanismes sous-jacents de l’inhibition, les chercheurs du département de didactique de l’université du Québec, à Montréal, ont sélectionné 23 étudiants et ont formé deux groupes : l’un de 12 individus peu « scientifiques » (inscrits en histoire, en philosophie…

et n’ayant jamais suivi d’option sciences), et l’autre de 11 étudiants en physique. Tous les participants passaient un examen d’IRMf durant lequel on leur présentait des schémas de circuits électriques simples, mettant en scène une pile reliée par des fils à deux ampoules dans différentes configurations. Certains schémas étaient corrects, tandis que d’autres représentaient une situation impossible : des ampoules allumées alors qu’elles n’étaient reliées à la pile que par un seul fil ou par un fil sectionné. Les cobayes devaient appuyer sur un bouton pour statuer si le circuit était correct ou non.

Comme attendu, les littéraires sont moins performants que les scientifiques dans cette épreuve. Et leur temps de réaction est plus important.

Mais le principal enseignement de l’expérience vient de l’observation cérébrale : les deux groupes n’activent pas les mêmes réseaux de neurones ! Face aux circuits erronés, seuls les experts activent plusieurs régions des parties postérieure et antérieure du cerveau : le cortex préfrontal ventrolatéral gauche, le cortex préfrontal dorso latéral gauche et le cortex cingulaire antérieur droit.

Pourquoi les experts activent-ils plus ces régions que les novices quand ils décèlent les schémas incorrects ?

« Chez les experts, la conception erronée « un câble suffit à allumer une ampoule » est toujours présente. Ils doivent donc désactiver cette conception pour donner la bonne réponse, ce qui passe par l’activation de régions cérébrales supplémentaires, dans le cortex préfrontal, associées au mécanisme d’inhibition » , explique Steve Masson, coauteur de l’étude. La conception erronée n’est pas effacée et remplacée par la bonne après un apprentissage : elle subsiste et le cerveau doit savoir la court-circuiter au besoin. « L’inhibition consiste à envoyer temporairement des neurotransmetteurs inhibiteurs d’un réseau de neurones (qui s’opposent à son activation), pour le « court-circuiter ». C’est un mécanisme intéressant, souligne Steve Masson, car il ne change pas la structure : l’automatisme, utile la plupart du temps, n’est pas perdu. » Masson et al., Differences in Brain Activation Between Novices and Experts in Science During a Task Involving a Common Misconception in Electricity, Mind, Brain, and Education, 2014.

LE CERVEAU D’UN EXPERT INHIBE LA MAUVAISE RÉPONSE

Face à un circuit électrique incorrect, un cerveau d’expert active des régions du cortex préfrontal, associé à l’inhibition (2). Une réaction qui ne s’observe ni chez les sujets novices, ni chez les experts soumis à un circuit correct (1).

7. Les émotions influencent la mémorisation

Le rôle de certaines émotions dans l’efficacité de l’apprentissage a été bien démontré : on sait qu’un état dépressif nuit à la production de nouveaux neurones et de nouvelles connexions, alors que le plaisir la favorise. Le mécanisme neuronal est une activation chimique : « Quand on est content parce qu’on réussit un exercice, le circuit de la récompense est activé et de la dopamine, libérée dans le cerveau. Ce qui est interprété par celui-ci par « ce que j’ai fait est bien, il faut le consolider ». La décharge chimique va se traduire par des renforcements synaptiques, voire la création de synapses », explique Daniel Choquet.

Le cas du stress

Mais pour le stress, les résultats de plusieurs études étaient contradictoires, le stress impactant parfois positivement l’efficacité de la mémorisation, parfois négativement.

Une efficacité qui semblait aussi dépendre de la charge émotionnelle du matériel étudié (notions positives ou négatives). Pour cerner le rôle du stress de l’apprenant et celui de la charge émotionnelle du matériel, des chercheurs de l’université de Maastricht ont monté en 2005 une expérience avec 60 étudiants divisés en 2 groupes. Le premier groupe a d’abord été placé en situation de stress (une présentation orale filmée). Puis les étudiants ont été entraînés à mémoriser une liste de 30 mots neutres (pierre…), positifs (paix…) ou négatifs (cancer…). La liste leur a été lue à 3 reprises, entrecoupées de tests de restitution. Enfin, au bout de 30 minutes, les participants devaient reconnaître les mots mémorisés dans une liste de 60 mots (les 30 appris et 30 nouveaux).

Constat : la quantité de mots retenus à chaque test ne diffère pas d’un groupe à l’autre. En revanche, lors de la restitution finale, le groupe stressé est nettement moins performant, mais pas pour tous les mots : il ne mémorise moins bien que les mots neutres.

Le stress n’a donc pas d’effet négatif sur la capacité à mémoriser lorsque le matériau est chargé émotionnellement.

Depuis, d’autres études ont montré que des niveaux encore plus importants de stress ( via des injections de cortisol) induisent une meilleure mémorisation des matériaux chargés émotionnellement.

Illustrant l’importance et l’extrême complexité des émotions dans les processus d’apprentissage…

8. Des neurones se créent à tous les âges

Contrairement à ce que l’on a longtemps cru, le cerveau adulte continue de créer de nouveaux neurones : entre 10 000 et 30 000 par jour ! Notamment dans l’hippocampe chez les humains, une zone du cerveau étroitement impliquée dans les processus de mémorisation à long terme.

L’expérience des odeurs chez la souris

À quoi servent ces néoneurones ?

Difficile de répondre, vu que l’IRMf ne permet de visualiser chez des animaux vivants que des réseaux de neurones. Jusqu’au développement, en 2010, de l’optogénétique, une technique (utilisée uniquement chez l’animal) par laquelle l’insertion d’un gène photosensible permet d’exciter ou d’inhiber les neurones à l’aide d’un faisceau lumineux via une fibre optique implantée dans le cerveau.

En utilisant cette technique, des chercheurs de l’Institut Pasteur ont étudié en 2010 la neuro génèse chez la souris. Ils ont marqué les néoneurones avec une protéine fluorescente, ce qui leur a permis de les activer à volonté à l’aide de brefs flashes lumineux. Ils ont ainsi observés que l’activation des néo-neurones apparus dans le bulbe olfactif de souris adultes, au moment où des odeurs leur sont présentées, s’accompagne d’une meilleure efficacité de la reconnaissance de ces odeurs et de leur mémorisation. Preuve d’un lien direct entre la neurogénèse et des processus cognitifs liés à l’apprentissage, comme la mémorisation.

Plus récemment, en 2016, le même laboratoire a mis en évidence que les néoneurones apparus à l’âge adulte (toujours dans le bulbe olfactif de la souris) sont particulièrement dynamiques : 20 % des connexions établies entre ces neurones et ceux préexistants sont modifiées quotidiennement, soit 20 fois plus que ce que l’on observe chez un neurone classique.

« À la différence des autres neurones, relativement stables, ceux produits à l’âge adulte renouvellent sans cesse leurs connexions avec les cellules voisines, expliquait Pierre-Marie Lledo, principal auteur de l’étude, en septembre dernier dans S&V . De quoi permettre au cerveau de s’adapter de manière rapide et efficace à un environnement sensoriel changeant. »

Ce dynamisme des néoneurones pourrait, selon les auteurs, suggérer un mécanisme universel de plasticité dans des régions cérébrales fortement associées à la mémoire et à l’apprentissage.