Harcèlement moral : quels recours ?

vendredi 11 août 2006


Depuis 2002, la législation reconnaît pleinement le harcèlement moral.

Mais la loi Censi, qui voudrait interdire aux maîtres les recours en droit privé (dont prud’hommes) contre les OGEC et chefs d’établissement, peut rendre à court terme les choses plus difficiles.

A contrario, un arrêt récent de la Cour de Cassation, qui ne dédouane pas l’auteur d’un harcèlement moral de son acte, en rend aussi responsable son employeur. Or, dans tous les cas que nous avons eu à gérer, à chaque fois les OGEC prenaient le parti des harceleurs sans qu’on puisse à aucun moment les mettre en cause.

Cette irresponsabilité va cesser. Elles vont désormais regarder à deux fois avant de les soutenir sans limite.

 La lente reconnaissance des victimes

Le harcèlement moral est une notion apparue récemment dans le droit français : le côté non démontrable par des faits vérifiables immédiatement en a freiné la reconnaissance.

Auparavant, ces affaires n’aboutissaient que par des démonstrations juridiques tortueuses. Ainsi, un des premiers cas reconnus dans l’enseignement privé sous contrat (en 1996 dans les Vosges) concernait une personne qui s’était défenestrée (et est d’ailleurs restée paraplégique). A l’époque, il n’avait été reconnu qu’un accident du travail, et, dans un premier temps, seule la CPAM avait été condamnée (parce qu’elle n’indemnisait pas assez la victime).

Pourtant, des ouvrages de médecins et de juristes (dont Marie-France Hirigoyen) ont montré qu’il y avait bien une souffrance destructrice qui devait être prise en compte sur les plans judiciaire et médical.

 Enfin une loi

La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a ainsi pleinement intégré cette notion en donnant une définition au harcèlement moral : ce sont “les agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel”.

A noter qu’il peut être le fait de l’employeur, d’un supérieur hiérarchique ou d’un collègue, et ce harcèle-ment peut être sanctionné qu’il soit intentionnel ou non. Il n’est pas nécessaire qu’il en soit résulté un dommage pour le salarié. Pour être qualifié de harcèlement, les agissements doivent concerner davantage la personne du salarié que son travail.

En droit pénal (que tous les personnels peuvent utiliser), le harceleur peut être condamné à un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende.

Une loi Fillon du 3 janvier 2003 (il a sévi partout, et jamais à notre avantage !), a voulu limiter les possibilités de recours en attribuant la totalité de la charge de la preuve au plaignant. Le juge a un important pouvoir d’interprétation et d’appréciation des faits.
Toute victime peut se porter partie civile, tout comme le syndicat qui la représente.

 Les conséquences de la loi Censi

Pour ce qui est des autres dispositions, la loi Censi change la donne.

Ainsi, les personnels de droit privé et les maîtres des écoles sous contrat simple sont couverts par le droit du travail (et donc peuvent aller en prud’hommes).

Par contre, ceux relevant du contrat d’association ne peuvent plus utiliser le droit du travail, sauf en ce qui concerne l’action des délégués du personnel et du CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail). Ils ne pourront plus faire référence qu’aux règles de la fonction publique.

 Repérer le harcèlement

Si le harcèlement peut naître de façon anodine, il se propage insidieusement. Certains signes doivent alerter :
 concernant le travail : retrait de tâches ou d’outils, ou confier des tâches irréalisables ou inutiles et humi-liantes, critique systématique, non transmission d’informations ...

 sur les relations avec les collègues : l’isoler de ses collègues (cela permet d’ailleurs de procéder à des harcèlements collectifs : certains pervers poussent le « talent » jusqu’à cibler plusieurs personnes, chacun étant l’objet de vexations spécifiques, et isolé des autres), interdire à ses collègues de lui parler, procéder à des mises en accusation devant les collègues, faire courir des rumeurs ...

 sur les relations harceleur - harcelé : volonté d’imposer une relation dominant - dominé, cibler les points supposés faibles (physique, fragilité morale ou de santé, vie personnelle ...), ignorer la personne ou ne pas l’écouter, menacer de sanction, insultes, vexations, volonté de déstabilisation ...

 Que faire lorsque l’on s’estime victime de harcèlement ?

Tout d’abord éviter le repli sur soi et l’isolement qui empêchent de réagir. D’autres d’ailleurs peuvent subir un harcèlement similaire, qui n’est pas perceptible par la victime car le harceleur s’arrange pour le camou-fler.

Le dialogue, avec des collègues, les représentants syndicaux puis les instances vues plus haut, est indispensable pour y voir plus clair et construire une réponse à l’agression.
Il faudra notamment s’assurer que les faits sont bien constitutifs d’un harcèlement moral et ne traduisent pas une tension momentanée dans les relations professionnelles.

Il est impératif de réunir des preuves, dès que possible :
 noter par écrit tous les actes dont la répétition et la nature évoquent le harcèlement (une synthèse de tout ce qui s’est passé sera demandée d’ailleurs par les instances vues plus haut, voire par les juges) ;

 recueillir les écrits montrant un harcèlement : notes de services, messages, lettres recommandées avec AR (les harceleurs se doublent souvent de procéduriers !) ;

 les témoignages sont également très intéressants (notamment comme éléments de preuve). On peut élargir l’enquête sur les autres lieux où le harceleur a déjà sévi (ce peut être un récidiviste, et l’enseignement catholique a la fâcheuse habitude de déplacer ce type de personnage, sous le prétexte de 2e chance). Rappelons que le témoin bénéficie d’une protection en vertu de la loi.

 Etude comparée des deux législations :

Droit du travailStatut de la fonction publiqueCommentaires
Responsabilité juridique Une obligation générale de prévention pèse sur l’employeur.
Il doit ainsi rappeler à ses salariés (notamment dans le règlement intérieur) que le harcèlement moral est interdit. En cas de procès, c’est lui qui sera condamné
Le responsable ayant autorité sur l’auteur du harcèlement, et qui s’abstiendrait d’agir, pourrait être qualifié de complice.
Compte tenu du régime de protection dont ils bénéficient, les fonctionnaires et assimilés pourront voir leur défense prise en charge par l’État.
Cette protection est aussi valable pour le harcèlement moral exercé par les usagers
En interdisant désormais tout recours au droit du travail pour les enseignants (sauf contrat simple), les OGEC s’affranchissent de toute responsabilité.
La difficulté est pour nous d’impliquer l’administration.
Axe possible : elle a une obligation de défense vis-à-vis de tous ses agents (que nous avons déjà utilisée dans une autre affaire). Et cela implique sa prise en charge financière de la défense !
Sanctions Sanctions disciplinaires :
L’auteur du harcèlement peut être sanctionné par son employeur. Il peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire.
Sanctions selon le code du travail :
Le harceleur peut être condamné au maximum à un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende.
Toute rupture du contrat de travail (licenciement ou démission) qui résulterait d’un harcèlement moral est nulle de plein droit. Le salarié peut également obtenir des dommages intérêts en réparation du préjudice subi
Tout agent ayant commis des agissements de harcèlement moral, ou les ayant couvert, est passible d’une sanction disciplinaire.
Si les deux agents (harceleur et victime) sont fonctionnaires ou assimilés, une action peut être engagée en tribunal administratif
Si le harceleur est rémunéré par l’Etat, il est soumis au régime disciplinaire des maîtres (son cas est examiné par les CCMD ou CCMA).
Par contre, s’il est totalement de droit privé, il échappe à toute sanction autre que pénale !
À qui peut-on s’adresser ? - délégués du personnel ou CHSCT : interviennent auprès de l’employeur. Celui-ci est tenu de procéder sans délai à une enquête et de faire remédier à cette situation.
 prud’hommes : le salarié ou le délégué les saisit en référé en cas de carence de l’employeur ou de divergence. Le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte et assortir sa décision d’une astreinte.
 médecin du travail : peut proposer des mutations ou des transformations de postes. Le chef d’entreprise est tenu de prendre en considération ces propositions. En cas de désaccord, la décision finale est prise par l’inspecteur du travail, après avis du médecin inspecteur du travail.
 l’inspection du travail, qui peut rappeler à l’ordre, engager des poursuites ...
Toutes ces procédures sont engagées par le salarié plaignant et/ou son syndicat (qui doit justifier d’un mandat).
- Inspecteur d’Académie ou Recteur (a le devoir de veiller à la sécurité de ses agents) : par un entretien ou un courrier présentant les preuves réunies. Il doit faire cesser les agissements
 médecin de prévention : peut faire usage du droit de retrait le cas échéant.
 assistante sociale, infirmière, médecin ou psychologue scolaire
 élu du personnel ou syndicat : aptes à aider le plaignant dans les démarches
Limites actuelles : l’administration n’avait pas jusqu’à présent l’habitude d’intervenir dans l’enseignement privé.
Il faut obtenir des arbitrages (des recteurs ou du ministère) pour qu’elle le fasse déjà commencé dans le travail que nous avons mené).
Des problèmes de moyens se posent : ex pour la Loire, une seule assistante sociale qui voit avec angoisse son champ d’investigation augmenter ...
Médiation Liste de médiateurs dressée par le préfet : ils peuvent convoquer les parties qui doivent comparaître en personne dans un délai d’un mois. En cas d’échec de la conciliation, le médiateur informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur des victimes - médiateur académique (coordonnées au Rectorat) : par écrit, sans passer par la voie hiérarchique, s’il ne parvient pas à obtenir de son administration que cesse les faits.
 des structures rectorales spécifiques peuvent également intervenir pour suivre le harcelé pendant une période
 une personne désignée par le recteur ou l’inspecteur d’académie : ainsi, dans le cas que nous avons défendu, c’est un inspecteur de secteur qui a joué ce rôle
La médiation a l’avantage d’un suivi sur une période plus longue, qui peut permettre à la victime de reprendre pied.
Dans l’enseignement privé, c’est aussi un œil extérieur qui peut se révéler utile par rapport aux pressions de l’institution

 Un arrêt important

L’arrêt que la Cour de cassation a rendu public, concernant le harcèlement moral, va faire trembler plus d’une entreprise. Il impose en effet aux employeurs une quasi-obligation de résultat en la matière, dans la lignée de la jurisprudence sur l’amiante, étendue il y a peu au tabac dans l’entreprise, tirée de la réglementation européenne.

L’affaire jugée était la suivante : la cour d’appel de Montpellier avait condamné l’ex-directeur d’une association, dénommée Propara, à indemniser six salariés qu’il avait persécutés. Estimant que c’est l’employeur en tant que tel qui aurait dû être condamné en ses lieu et place, l’ancien responsable s’appuyait sur le fait que les agissements reprochés n’étaient pas détachables de sa fonction au sein de l’association et qu’une obligation de prévention incombe à l’employeur en matière de santé et de sécurité au travail.

 Six arrêts cassés

La Cour de cassation ne lui a pas donné raison dans la mesure où elle a estimé dans son arrêt qu’« engage sa responsabilité personnelle à l’égard de ses subordonnés le salarié qui leur fait subir intentionnellement des agissements répétés de harcèlement moral ». Ces faits « fussent-ils commis dans l’intérêt, voire même sur les ordres de l’employeur », précise le communiqué diffusé hier par la haute juridiction.

Mais elle n’exonère pas pour autant l’employeur de sa propre responsabilité. Au contraire puisqu’elle casse sur ce point les six arrêts rendus par la cour d’appel de Montpellier, qui avait débouté les salariés dans leur action contre leur employeur car il n’avait pas commis de faute. « L’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment en matière de harcèlement moral, et l’absence de faute de sa part ne peut l’exonérer de sa responsabilité », précise un des attendus de l’arrêt.