La maternelle : maillon essentiel si on veut - vraiment - lutter contre l’échec scolaire

lundi 22 septembre 2008


Dans la polémique engagée par la droite depuis quelques années contre la maternelle, il y a plusieurs visions :
 celle d’une éducation archaïque, où seuls les parents sont habilités à bien transmettre leur système de valeur à leurs enfants. En poussant plus loin, on rejoint le projet de 5% des enfants américains (de milieux ultraconservateurs) élevés à la maison, sans aucun passage par l’école.

 l’idée de transférer la charge financière de l’accueil de la prime enfance aux collectivités locales ... et aux familles elles-même, bien sûr au détriment des plus pauvres mais aussi des classes moyennes. Les plus riches auront eux recours aux allégements de charge et à la défiscalisation de certaines prestations.

 l’abandon de toute idée d’égalité par l’éducation, qui se manifeste à d’autres niveaux (retour à l’enfermement dans une filière pour les formations professionnelles, sélectivité et financement privé dans le supérieur, réforme du bac qui enterre les filières technologiques outils de promotion sociale).

D’où la volonté de casser un système qui marche même s’il est perfectible, et de sacrifier la dimension éducative : la déclaration du ministre sur des maîtres seulement chargés de changer les couches est éclairante sur ce point.

Nous voulons sortir de la polémique qui sert le dessein de Darcos de discréditer la maternelle. Les deux interventions ci-dessous se placent, elles, sur le registre de l’analyse.

 Maternelle : un discours ministériel « en total décalage avec les faits »

Bruno SUCHAUT, Directeur IREDU-CNRS, Université de Bourgogne

« Il est certain que se servir de la scolarisation maternelle comme variable d’ajustement… va renforcer les inégalités sociales face à l’éducation ». Bruno Suchaut, spécialiste des apprentissages en maternelle, analyse sévèrement le discours ministériel sur l’école maternelle.

« Ce discours est pourtant en total décalage avec les faits et de ce que l’on connaît de l’école maternelle sur la base, d’une part de données comparatives sur l’enseignement préscolaire en Europe et dans le monde, et, d’autre part, des études françaises portant sur l’efficacité de l’école maternelle ».

Les récents propos du Ministre de l’Education nationale concernant l’école maternelle, au-delà de leur dimension perçue comme provocatrice par de nombreux acteurs de l’école, ouvrent un débat sur un aspect important de la politique éducative. La question de la scolarisation maternelle pour tous les élèves est clairement posée.

On assiste déjà régulièrement, et depuis plusieurs années, à une baisse très sensible du taux de scolarisation des enfants de 2 ans, cette tranche d’âge étant devenue une variable d’ajustement dans la répartition des moyens. Le contexte de rigueur budgétaire qui semble structurer l’essentiel de la politique éducative actuelle a pour conséquence de remettre en cause à présent la scolarisation des enfants de 3 ans.

Au niveau politique, il devient alors utile de justifier cette situation, ou tout du moins de l’accompagner, d’un discours peu gratifiant sur l’école maternelle et même sur les enseignants qui y travaillent. Ce discours est pourtant en total décalage avec les faits et de ce que l’on connaît de l’école maternelle sur la base, d’une part de données comparatives sur l’enseignement préscolaire en Europe et dans le monde, et, d’autre part, des études françaises portant sur l’efficacité de l’école maternelle.

Dans la grande majorité des pays du monde, l’enseignement préscolaire est toujours porteur d’efficacité sur la carrière scolaire ultérieure des élèves. En France, les recherches ont systématiquement relevé un lien positif entre la durée de fréquentation de l’école maternelle et la réussite des élèves à l’école élémentaire, tant sur le plan des acquisitions que sur celui de la qualité des parcours scolaires. Il y a bien sûr d’autres dimensions psychologiques et sociales qu’il conviendrait à mettre au profit de la scolarisation maternelle, même si celles-ci ont été assez peu évaluées dans le contexte français.

L’argument des coûts est également invoqué pour justifier la faible priorité accordée à ce niveau d’enseignement, là encore, cet argument demande à être rapproché de données factuelles. Or, quand on examine les coûts de l’enseignement préscolaire dans les pays développés, notre pays se situe parfaitement dans la moyenne.

En France, les coûts unitaires d’un enfant scolarisé en maternelle, sont bien moins élevés que ceux relevés dans d’autres structures d’accueil. Les coûts sont en effet le reflet de deux dimensions principales : le taux d’encadrement et le niveau de rémunération du personnel et c’est cela qui explique les différences de coût entre les modes d’accueil alternatifs de la petite enfance.

Dans ce débat, il ne faut pas perdre de vue que les missions de l’école maternelle lui sont spécifiques, s’appuyant notamment sur des programmes dans lesquels figurent les apprentissages à développer chez les jeunes élèves. Il est donc aisé de semer la confusion entre mettant sur le même plan les différents modes de prise en charge des jeunes élèves sans distinguer les conditions d’accueil et les pratiques développées. Dans cette confusion, la tentation est alors grande pour évoquer une « surqualification » des enseignants de maternelle…

Il est certain que se servir de la scolarisation maternelle comme variable d’ajustement, alors que les autres niveaux d’enseignement se voient également être victimes d’arbitrages contraignants, va renforcer les inégalités sociales face à l’éducation. Comme toujours, quand l’offre se fait plus rare, et sans mécanisme de régulation, il y a fort à parier que ce sont les plus démunis dans la société qui seront, le plus souvent, écartés de l’offre d’éducation maternelle.

La politique actuelle va conduire à des changements rapides et profonds de l’école dans un contexte budgétaire peu favorable alors, qu’en même temps, des objectifs d’amélioration de la qualité sont fixés. Si les contraintes économiques sont aisément visibles dans les choix réalisés, les aspects qualitatifs ne semblent pas être une priorité dans les réformes engagées.

La nouvelle organisation du temps scolaire à l’école primaire en est un exemple illustratif qui va à l’encontre des préconisations sur le respect des rythmes de l’enfant et qui apparaît aussi en décalage avec ce que l’on sait de l’efficacité pédagogique, notamment pour la prise en charge de la difficulté scolaire.

Ce n’est pas la seule utilisation des moyens financiers alloués à l’école qui doit guider la politique éducative, les aspects économiques ne pouvant se dissocier des facteurs de qualité de l’école. L’école maternelle, par la diminution de la capacité d’accueil des 2-3 ans, apparaît en ce début d’année scolaire, comme une victime de la politique menée.

Il serait plus productif, dans une vision à plus long terme, de s’intéresser davantage à ce qui se fait réellement à l’école maternelle, d’y repérer et de développer les pratiques efficaces, plutôt que de la parodier en « en remettant une couche »…

Article du Café pédagogique

 « Une bouffée d’oxygène pour nombre de mères isolées »

Le Monde du 19.09.08

Eric Maurin, vous êtes l’auteur de La nouvelle question scolaire, les bénéfices de la démocratisation et vous avez démontré, dans une étude sur Grenoble, les bienfaits des crèches sur le développement des enfants et le travail des femmes. Que pensez-vous de cette controverse sur la préscolarisation à 2 ans ?
Après avoir longtemps été une fierté, l’accueil des enfants de 2 à 3 ans à l’école maternelle est aujourd’hui attaqué de toutes parts sur des bases extrêmement fragiles. Elle serait à la fois dangereuse pour les enfants et coûteuse pour notre système éducatif.

La vraie question n’est jamais vraiment posée : par quoi serait-elle remplacée et ces solutions seraient-elles vraiment meilleures pour les enfants et moins coûteuses pour la société ? Nous avons mené une étude qui aboutit à un diagnostic bien plus nuancé que les caricatures aujourd’hui en cours.

Que démontre cette étude ?
Lorsqu’ils ne sont pas à la maternelle, les enfants de 2 ans sont dans leur très grande majorité chez leurs parents ou bien chez une assistante maternelle, beaucoup plus rarement en crèche. Etant donné les aides publiques, ces modes de garde alternatifs sont en fait en moyenne plus coûteux pour la société que l’école maternelle. On peut évaluer que chaque enfant supplémentaire accueilli en maternelle représente une économie pour la société d’environ 2 500 euros. L’école maternelle sollicite moins d’adultes par enfant pour un coût plus faible.

Ce manque de moyens nuit-il, plus tard, aux performances scolaires des enfants qui ont été scolarisés dès l’âge de 2 ans ?
Etant donné la priorité donnée aux enfants nés en début d’année, il existe de très fortes variations de scolarisation à 2 ans selon la région de résidence et le mois de naissance de l’enfant. Si la maternelle à 2 ans nuisait aux enfants comme on l’entend aujourd’hui dire partout, on devrait constater un déficit de performance dans le primaire, voire dans le secondaire, pour les enfants nés au mauvais moment et au mauvais endroit. On ne constate en réalité rien de tel.

Nous avons procédé à une analyse approfondie des évaluations nationales de CE2 des générations nées entre 1991 et 1994 ainsi que des informations très exhaustives sur les trajectoires scolaires contenues dans les recensements de la population. Le diagnostic ne souffre aucune ambiguïté : les performances scolaires sont rigoureusement similaires chez ceux qui ont été à la maternelle dès 2 ans et chez ceux que leurs parents ont gardés jusqu’à 3 ans. Avec 25-30 enfants par classe, les maîtresses de maternelle, aujourd’hui si décriées, font finalement aussi bien que les mères et les assistantes maternelles.

La maternelle à 2 ans favorise-t-elle le retour à l’emploi des mères ?
La possibilité d’inscrire son enfant en maternelle dès 2 ans offre effectivement une bouffée d’oxygène à nombre de mères, notamment les mères isolées, souvent en difficulté socialement et avec très peu de moyens pour faire garder leurs enfants. Pour les mères seules, nous évaluons qu’offrir 100 places supplémentaires en maternelle à deux ans permet en moyenne le retour à l’emploi de 25 femmes supplémentaires.

L’effet est plus particulièrement fort dans les régions où les assistantes maternelles sont rares. Supprimer l’école maternelle gratuite à 2 ans serait aujourd’hui une catastrophe économique pour des milliers de femmes et d’enfants pauvres.