Droits d’auteur : qu’en est-il de l’exception pédagogique ?

samedi 29 novembre 2008


Le pouvoir actuel légifère beaucoup sur l’usage d’Internet, dernier média qui échappe à son contrôle.

La restriction de la liberté d’expression est évidemment son 1er objectif, de façon à éviter la diffusion de toute critique à son égard (et à surveiller toute expression divergente comme l’a montré l’appel d’offre sur la « veille de l’opinion » des enseignants).

L’autre objectif est de protéger les intérêts de groupes « amis » (Lagardère - Hachette ...), ce qui a des interférences directes avec le travail des enseignants utilisateurs d’œuvres.

Ainsi, la disposition de la loi relative aux droits d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (loi DADVSI [1]) établissant une exception relative à l’enseignement doit entrer en vigueur le 1er janvier 2009.

Le professeur Michel Vivant [2], spécialiste du droit des propriétés intellectuelles, alerte la communauté éducative sur les conditions de sa mise en application.

Quels sont les devoirs des utilisateurs ?
Outre les questions de la rémunération, des catégories exclues et de la notion d’extraits, les utilisateurs ont des obligations à respecter quant à la composition du public [4] auquel ils présentent les reproductions.
Ce qui ne sera pas sans poser certains problèmes, en marge du cadre classique de l’enseignement, comme dans l’organisation de séminaires de formation associant divers professionnels ou encore les publications de thèses…

A qui s’applique cette clause ?
L’exception pédagogique [3] s’applique, par principe, à tous ceux qui exercent une activité d’enseignement, de l’école maternelle aux établissements du supérieur, ainsi qu’aux chercheurs. Ceux-là mêmes qui, actuellement, sont autorisés à utiliser de « courtes citations » d’œuvres protégées à des fins d’enseignement et de recherche.
Mais attention, l’exception pédagogique n’est pas une exemption. Elle consiste ici en une limitation de la reproduction et de l’utilisation des œuvres avec conditions de paiement.

Quels types d’œuvres sont concernés ?
A priori toutes sauf les trois catégories pour lesquelles la loi émet une réserve, soit : les partitions musicales, les œuvres « conçues à des fins pédagogiques » et les œuvres « réalisées pour une édition numérique de l’écrit ». La première est évidente, la deuxième paraît claire sans l’être vraiment, la troisième est très obscure !

Concernant les œuvres conçues à des fins pédagogiques, on comprend qu’un professeur de littérature du XVIIe siècle ne puisse reproduire les pages d’un ouvrage pédagogique traitant de ce sujet, mais utilise des extraits d’une pièce de Racine pour illustrer son cours.
Mais qu’en est-il de l’utilisation d’un manuel conçu pour un niveau autre que celui dans lequel on enseigne ? Qu’en est-il des ouvrages de réflexion écrits à des fins non pédagogiques, mais couramment utilisés comme tels ?

S’agissant des œuvres réalisées pour une édition numérique de l’écrit et outre l’opacité de la formulation, comment considérer une œuvre dont il existe une version numérique et une version papier ? Ces quelques exemples démontrent que la clause ainsi rédigée ne permet pas de savoir précisément ce qui relève ou non de l’exception pédagogique.

Quelles sont les conditions d’utilisation des contenus autorisés ?
Deux choses sont à retenir. La première est que l’exception pédagogique ne peut fonctionner sans une rémunération compensative négociée.
Concrètement, si au 1er janvier 2009, aucune entité juridique n’est désignée pour mener ces négociations avec les éditeurs et si des budgets ne sont pas alloués, alors le mécanisme légal de l’exception pédagogique sera bloqué.

Le second élément est que cette exception permet l’exploitation « d’extraits d’œuvres ». Expression nouvelle dont on sait simplement qu’elle fait allusion à un lignage plus important que la courte citation…
Mais que représente-t-elle vraiment ? 4%, 5%, 10% d’une œuvre ? Ce pourcentage est-il relatif à la pagination totale ? La notion d’extraits manque de sens pour être opératoire.

Que change cette clause ?
C’est un changement d’ordre symbolique. La France a accepté le principe de l’exception après des années de refus, suivant enfin le mouvement initié par de nombreux voisins européens. L’avenir de ce changement annoncé dépend à présent des moyens qui seront (ou ne seront pas) mis en œuvre pour que la clause soit applicable. Ainsi que de la manière dont les notions floues seront précisées. Pour l’heure, nous avons un texte ponctué d’incertitudes qui donne à l’exception pédagogique des allures d’usine à gaz !

Propos recueillis par Marie-Laure Maisonneuve, site VousNousIls

(1) L. n°2006-961 du 1er août 2006 (JO n°178 du 3 août 2006).
(2) Professeur titulaire à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, responsable de la spécialité « Propriété intellectuelle » du Master Droit économique, docteur honoris causa de l’Université de Heidelberg, Cabinet Gilles Vercken (Paris) membre de diverses instances dont la Mission Scientifique Universitaire (MENR), expert auprès des autorités européennes et des pouvoirs publics français, auteur de divers ouvrages de référence dont « Le Code de la Propriété intellectuelle annoté » (Litec, 2007)
(3) Rappelons que l’exception pédagogique est définie ainsi par le premier article de la loi : « La représentation ou la reproduction d’extraits d’oeuvres, sous réserve des oeuvres conçues à des fins pédagogiques, des partitions de musique et des oeuvres réalisées pour une édition numérique de l’écrit, à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la recherche, à l’exclusion de toute activité ludique ou récréative, dès lors que le public auquel cette représentation ou cette reproduction est destinée est composé majoritairement d’élèves, d’étudiants, d’enseignants ou de chercheurs directement concernés, que l’utilisation de cette représentation ou cette reproduction ne donne lieu à aucune exploitation commerciale et qu’elle est compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire sans préjudice de la cession du droit de reproduction par reprographie mentionnée à l’article L. 122-10 »
(4) Selon le texte : « composé majoritairement d’élèves, d’étudiants, d’enseignants ou de chercheurs directement concernés »