Le stress des enseignants trouve son origine dans la mutation du système

vendredi 19 décembre 2008


Maladie ravageuse du corps enseignant, le stress est intrinsèquement lié à la relation didactique et au système éducatif lui-même.

L’ouvrage de L. Janot-Bergugnat et N. Rascle a l’intérêt d’aller au-delà du diagnostic et du remède individuel pour poser les bases d’une réponse du système.

Ci-dessous interview des auteurs par François Jarraud, du Café pédagogique.

Le thème de la souffrance enseignante est un sujet très sensible dans le monde de l’école. Les profs sont-ils vraiment plus stressés que d’autres catégories de la population ?

Le sujet est sensible à plusieurs titres : premièrement, le public a tendance à considérer que les enseignants ont des conditions de travail privilégiées en raison des vacances et des horaires confortables comparés à d’autres professions.
Des malentendus et une méconnaissance de la réalité quotidienne du travail dans les établissements scolaires et les classes rendent donc difficiles la reconnaissance de cette souffrance.

Deuxièmement, les demandes faites aux enseignants se sont multipliées depuis ces trente dernières années en même temps que la société évoluait (l’intégration du handicap, le traitement de la violence à l’école, la prise en compte des nouvelles technologies de la communication, l’apparition de nouvelles problématiques comme le fait religieux, les éducations à la santé, au développement durable, à la citoyenneté …).
Or ce changement a t-il véritablement été accompagné, piloté et évalué ?

La transformation des pratiques et d’un métier passe par des phases douloureuses de frustration, de crainte, de résistance ou d’investissement qui nécessitent une attention particulière portée à l’homme au travail.

Enfin, la mutation accélérée que les enseignants vivent en ce moment à travers la succession des réformes les met au défi de s’adapter rapidement et de développer tous leurs efforts pour atteindre des objectifs de performance et d’efficacité. Mais à quel prix ?

Quant à savoir s’ils sont davantage stressés que d’autres professionnels, les enquêtes comparatives entre différents métiers à ce jour n’existent pas. On peut en revanche avancer que chaque profession a ses sources de stress bien spécifiques, ses problèmes de santé (les troubles musculo-squelettiques chez les ouvriers du bâtiment et les problèmes ORL chez les enseignants) et ses propres facteurs de risques : par exemple, pour 1000 travailleurs aux USA, le nombre de victimes chez les enseignants du secondaire se situe au 4e rang derrière les policiers, les petits commerçants et les chauffeurs de taxi pour les violences physiques.

On peut aussi avancer que les métiers à forte implication relationnelle (les enseignants, les soignants ; les travailleurs sociaux) sont traversés par les mêmes problématiques et que la réduction des stresseurs dépendra fortement du soutien reçu.

Comment expliquer la place prise par cette souffrance des enseignants ? Qu’est-ce qui génère le stress chez les profs ?

Au niveau international, un rapport du comité conjoint OIT/UNESCO d’experts sur l’application de la recommandation concernant la condition du personnel enseignant (Genève, 11-15 /09 / 2000) montre que le moral est bas, dans bien des pays, et que la condition du personnel s’est détériorée pour plusieurs raisons : le processus de rationalisation économique a des effets négatifs sur le personnel, les rémunérations sont relativement peu élevées (notamment dans les pays en développement), le scepticisme dans l’opinion quant à la qualité et la pertinence de l’enseignement dispensé engendre un sentiment d’injustice, les conflits entre les enseignants et l’employeur portant sur les moyens sont fréquents, enfin le manque de de coopérations entre l’employeur et les représentants syndicaux reste un problème majeur.

Depuis les années 70, époque des premières études sur le stress des enseignants dans le monde, on connaît bien les sources de stress les plus fréquemment citées :

 La surcharge de travail : c’est le cumul des contraintes, venues se rajouter progressivement dans le métier, associé à une forte intensité du travail enseignant du fait de la multiplicité des opérations à effectuer en classe sur une durée très courte (répondre, écouter, se déplacer, écrire, maintenir l’ordre, gérer la dynamique du groupe tout en étant attentif aux individus…).
A cela il faut rajouter une charge émotionnelle et physique importante dans un métier de relations intenses, des pauses peu fréquentes, du bruit, du matériel et des locaux parfois vétustes et peu adaptés. Cette accumulation d’activités entraîne donc chez l’enseignant le sentiment et la réalité d’une usure quotidienne et d’un travail dans l’urgence.

 Le conflit de rôle : être confronté à des ordres contradictoires, des pressions émanant de sources différentes, et qui plus est en opposition avec ses valeurs personnelles, comme par exemple, être pris entre la demande du groupe classe et les besoins spécifiques de certains élèves à besoin particulier.

 L’ambiguïté de rôle : l’individu au travail ne sait pas ce qu’on attend de lui, quels objectifs précis il doit atteindre et enfin quelle est l’étendue de ses responsabilités. Les enseignants peuvent être désorientés face à la sortie de nouveaux textes officiels au rythme des nominations de nouveaux ministres. Peter Woods (1999) évoque d’ailleurs une « schizophrénie innée du métier ».

 L’inéquité et le manque de reconnaissance : il semble que ce ne soit pas tant de la part des élèves que les enseignants cherchent à recevoir des « récompenses » (les efforts consentis en direction des élèves ne constituent pas, pour les enseignants, une monnaie d’échange), mais plutôt de la part de la hiérarchie, des collègues, des parents et de la société, en général.

 Les élèves en difficulté : il apparaît que la notion d’élève signalée en difficulté soit subjective : Borrego (1999) met en évidence que, plus les enseignants sont sensibles au stress et plus ils signalent abusivement des enfants en difficulté.

 La difficulté à intéresser les élèves : ceux-ci peuvent ne pas adhérer du tout au projet scolaire qui leur est offert ; en le signifiant par l’agitation ou l’apathie, la perturbation, la démobilisation face au travail. Avoir un cours bien préparé, et faire preuve de compétences psychosociales ne garantissent pas un comportement positif envers le travail scolaire.

On ajoutera également le manque de soutien de la hiérarchie et les relations conflictuelles entre collègues.

Peut-on dire que le stress enseignant résulte de la crise du système éducatif ?

A chaque époque son stress, dont on parlait déjà sous l’Antiquité. Il faudra attendre le 19e siècle pour voir se développer une approche scientifique du phénomène grâce aux travaux des physiologistes, mais c’est surtout Hans Selye qui va asseoir le premier une théorie du stress dans les années 50 entraînant par la suite le développement de différents outils de mesure.

Ainsi, un détour par les archives et les récits d’enseignants des siècles passés témoignent de la difficulté d’enseigner à toutes les époques. Aujourd’hui, on peut avancer que le stress trouve son origine dans la mutation du système et de la société également en train de s’opérer, engendrant des situations de défis à relever mais aussi de menace ou de perte qui ont un coût pour les personnels au niveau des ressources individuels et collectives qu’ils ont à développer pour faire face au changement.

Sur ce terrain, l’évolution vers la responsabilisation, le mérite, les objectifs à atteindre, peut-elle être porteuse de stress ?

Dans le livre, nous avons différencié les éléments qui sont à risque pour les enseignants et ceux qui au contraire pourraient les protéger du stress : le travail en classe, et dans l’isolement, un temps de travail datant du décret de 1950, un management seulement de résultats et de performance, une reconnaissance seulement individuelle du mérite, la fermeture de l’école sur elle-même, une formation initiale de type disciplinaire et académique, la nomination des néo-titulaires dans des zones difficiles seraient des facteurs de risque.

A l’inverse, l’équilibre entre travail dans la classe et partage collectif, ouverture de l’école sur le quartier et les partenaires, un management de type social, une reconnaissance à la fois individuelle et collective, par notamment un déroulement de carrière attractif, la création de nouveaux métiers donneraient plus d’opportunités aux enseignants de résoudre les problèmes et de faire face aux difficultés.

Mais il y a quelques conditions aussi : il conviendrait en même temps d’engager une formation des cadres de l’éducation nationale sur ce sujet, de développer une culture de l’accompagnement des projets, de favoriser le développement (et pas seulement la gestion) des ressources humaines et professionnelles, enfin d’accorder aux enseignants une véritable autonomie dans les faits qu’aujourd’hui le système bureaucratique a tendance à freiner (le modèle finlandais est intéressant à ce titre).

Mais alors que peut faire le prof pour diminuer le stress ?

Aujourd’hui, concrètement, dans sa classe et son établissement, voilà une sorte de recette « anti-stress » (pas forcément miracle !) pour les profs (chaque item étant détaillé dans notre livre) :
 connaître ses limites et savoir repérer les manifestations psychophysiologiques du stress pour protéger sa santé ;
 connaître ses faiblesses qui pourraient le gêner dans son métier ;
 apprendre à développer des stratégies de faire face efficaces et protectrices ;
 rechercher du soutien (les ateliers d’analyse des pratiques sont à ce titre protecteurs) ;
 recevoir une formation à ce sujet pour devenir autonome dans la gestion de son stress et prendre en charge sa santé ;
 s’intégrer à des groupes de travail sur les transformations des pratiques.

Les chefs d’établissements ont-ils une responsabilité particulière en ce domaine ?

Il faut d’abord dire qu’eux-mêmes peuvent vivre un stress intense et quotidien et qu’ils ont donc les mêmes besoins que les enseignants.
En revanche, une formation sur ce sujet leur permettrait de savoir comment aider et protéger leur personnel (inscrit dans le code du travail), comment travailler le climat scolaire dans sa dimension relationnel, social et de sécurité, enfin il s’agirait de leur apprendre à développer un management de type social.

En résumé, on pourrait dire qu’ils peuvent être à la fois stressés et stresseurs ! Et qu’eux aussi ont besoin d’une attention particulière quant aux difficultés qu’ils rencontrent.

Pour conclure, si l’adage « le social fait l’économie » dans le monde marchand (rapport Brundtland, 1987), pour notre école, c’est en s’occupant du personnel enseignant que la transformation et la qualité du système scolaire seront atteints. Les élèves ne s’en trouveront que mieux !

Propos recueillis par François Jarraud

Le livre : Laurence Janot – Bergugnat, Nicole Rascle, Le stress des enseignants, Armand Colin, 2008, 217 p.

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